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poète de la Perse. On dit: les choses sont ainsi; il y a là une
allée, des orangers et des cyprès; il y a là un jet d'eau, une
vasque de marbre, une étoile de zelliges. Mais quand on a dit tout
cela et situé exactement chaque objet, l'oranger n'a plus de
parfum, le cyprès ne s'incline plus avec sa grâce adolescente, les
oiseaux se sont tus, les mille, étoiles du jasmin ont disparu dans
le feuillage, les grandes portes paradisiaques ont refermé avec
effroi leurs vantaux d'or et de carmin sur les chambres de silence
et d'ombre, qui font penser à des auberges où ne descendraient que
des rêves...
" Et comment les mots de chez nous ne s'égareraient-ils pas en
parlant des choses d'ici! Ici, toute pompe est familière, toute
grandeur coquette, toute beauté un peu mièvre. Avec cela, le
naturel a toujours de la dignité. l'abandon n'est jamais vulgaire.
Ce qui chez nous jure d'être ensemble, se trouve ici tout
naturellement accordé. La grande cour, dallée de marbres blancs et
verts, s'entoure d'une galerie de bois d'un bleu déteint, passé,
d'une rusticité presque pauvre. De hautes et frêles graminées
poussent sur les toits de tuiles vertes qui couvrent les pièces
enchantées. L'eau s'échappe des vasques, ruisselle et baigne le
marbre majestueux. D'innombrables pigeons vont et viennent sur les
dalles chauffées au soleil, et dans ce silence inhabité leur
promenade lustrée, noble, familière et roucoulante, est encore ce
qui donne le mieux à mon esprit la mesure de la majesté du lieu.
(1) "
Tous les jardins ne sont pas cachés dans des palais. En dehors des
villes, et spécialement au Maroc, on en rencontre de merveilleux
où les jardiniers, - m'a-t-on dit - poussent le raffinement
jusqu'à grouper les plantes non pas seulement pour l'harmonie des
couleurs que les fleurs présentent aux yeux, mais encore pour
créer de savantes symphonies de parfums. Voici celui de l'Aguedal
à côté de Marrakech :
" Mais la merveille de l'Aguedal, c'est le paradis de jardins
qui s'étend par derrière, la solitude végétale qu'entoure la
solitude enflammée de la plaine, sous l'écran bleuissant des
neiges.
" Plus personne dans ce dédale de grands clos qui communiquent
entre eux par les brèches et les trouées des vieux murs. Plus rien
que le soleil et l'azur, et les
(1) Jérôme et jean THARAUD. - Marrakech ou les
seigneurs de l'Atlas. Paris, Pion, 1920, in-16, p. 77-78-79.
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peuples de beaux oliviers, et les palmiers surgissants, et l'arôme embaumé
des étoiles de cire, entre les rangs et les rangs de clairs feuillages
vernis; et le feu des jeunes fleurs promettant les grenades, et aussi les
chants, les trilles, les subites querelles des grives et des merles. Et
par-dessous ces changeantes sonorités, partout présente, comme une âme
évanouie dans du bonheur, et qui flotte avec les nappes de parfums, la rumeur
endormie des invisibles colombes, la même qu'à la Mamounya, mais plus vaste
encore, et si faible, régulière qu'on la distingue à peine du silence...
"... Un paradis avant le mal, avant la peur, où ne vit encore que
l'innocence des fleurs et des oiseaux. On est si loin des hommes et de
soi-même! On a retrouvé la prime jeunesse du monde ; et quelle paix, quelle
sécurité, quel pur oubli de tout! on oublierait ici la mort, dont l'ombre
n'a jamais passé sur ces lieux. Seulement la perfection de la vie, de son
moment suprême: jeunes floraisons, trais éclats, beauté, volupté. Et ce
divin moment, on dirait qu'il est fixé pour toujours, que cet enchantement,
rien ne viendra le dissiper ou le rompre.
" Un matin d'avril ? A l'Aguedal ? Au Maroc? Non, c'est plutôt
l'éternel matin; c'est à jamais le ciel sans tache, les feuillages lustrés,
chargés de sèves aromatiques, les fruits d'or, les oliviers pâles de leur
écume de fleurs. Et toujours, dans ce calme divin, l'immense, innombrable
murmure de l'amour, longuement rythmé comme une respiration d'extase. L'heure
est comme suspendue dans un bonheur, qui se confond à la lumière. Rien qui
parle de la succession des jours.
" Là-bas, entre des bouquets de citronniers, sous des panaches suspendus
de dattiers, je vois briller les neiges...
" Un paradis, mais musulman, à cause des trop molles délices du lieu,
de ses suggestions de repos et de volupté. On voudrait s'asseoir, en fermant
un peu les yeux, pour se pénétrer de silence, de parfums, de pure clarté
sans images. Et l'âme islamique aussi peut s'exalter de ces belles
ordonnances, exactes et pures comme les parvis et les péristyles d'une
mosquée, de l'immense rectangle liquide, au centre de ce domaine: silencieux
miroir de la montagne et de la solitude, s'exalter du lustre grave des
immortels feuillages, de l'ombre vraiment religieuse de certaines avenues où
des oliviers ravinés par le grand âge suspendent leurs grises franges, vous
enveloppent de longs rideaux légers, comme pour plus de paix et de mystère.
Tout au long de l'avenue, la ligne d'un rapide ruisseau
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