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brille en un mince canal de chaux très blanche. Du secret. de
l'ombre, de beaux arbres, la rumeur et la fraîcheur d'une eau vive,
quel accord musulman! Voilà bien le luxe et la beauté qu'ont
cherchés les émirs dont le rêve s'éternise en Andalousie, aux
jardins clos du Généralife et de l'Alhambra. On peut imaginer l'un
d'eux, poète, assis là, dans ses plis de mousseline, sur le blanc
rebord du ruisseau; il écrit des vers d'amour riches en métaphores
subtiles, en mots dont le vulgaire ne percevra pas tous les sens.
" Justement l'avenue sacrée s'ouvre au loin sur un kiosque qui
ne semble fait, en cette solitude, que pour la musique et le rêve.
A l'autre bout de la voûte ombreuse, il se lève dans le soleil. On
voit briller entre ses colonnes son treillis blanc, car il est
ajouré comme une jolie cage Sous le dernier arceau des branches, se
révèle le bas de sa toiture: un peu de douce poterie turquoise.
" Par un jour d'extrême avril, par un de ces midis où la
ville se plombe et s'écrase sous le soleil, où les franges des
hautes palmes fondent dans l'aveuglante lumière, j'ai passé sur le
parvis qui précède ce pavillon. A l'intérieur, à travers la
dentelle du mur, peu à peu dans un riche demi-jour, j'ai vu
paraître, au large, obscur cornet du plafond, dés entrelacs d'or
et de pourpre confuse. Par terre, au milieu de l'hexagone de
faïence dont six colonnes marquent les angles sur des tapis aux
tons d'or, deux formes humaines s'allongeaient : sans doute de
simples jardiniers réfugiés là, à l'heure accablée. Mais ils ne
dormaient pas. Mes yeux, s'habituant à cette pénombre
distinguaient leurs yeux demi-ouverts. Ils étaient tournés vers le
portique où s'encadrait pour eux une pure vision de poésie arabe:
l'obscure et profonde perspective des oliviers entre des clartés
vertes, et, tout au milieu, le long filet d'eau courante.
" Ils ne semblaient pas conscients de notre présence. Ils ne
remuaient pas, absorbés dans leur kief, goûtant la perfection d'un
bonheur que des sultans avaient préparé pour eux-mêmes: délices
de l'ombre, à l'heure où la terre et le ciel s'incendient, de
l'ombre et du silence parmi des couleurs et lueurs de faïence; paix
du beau jardin dont l'image s'inscrit, parfaite et lumineuse, dans
le noir d'une arche à contre-jour. Et, sans arrêt, le
ruissellement endormeur de l'eau froide et volubile...
" Ce n'était rien que deux jardiniers à l'heure de la sieste.
Mais, après avoir longuement erré dans ces jardins déserts, on
avait l'impression de rencontrer enfin, au centre |
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de la splendide solitude, l'âme humaine, celle qui avait voulu, ordonné ce
royaume du rêve, et qui, maintenant immobile, cachée dans sa retraite
d'ombre, ne faisait plus que le refléter. (1) " .
En Afrique du Nord la nature au printemps produit sans aide des fleurs à
profusion. Ce fut aux yeux de Loti, lorsqu'il visita le Maroc, la grande
merveille que cette terre couverte de fleurs, comme un fin tapis de Rabat.
Nous ne saurions manquer de citer une page de Louis Bertrand sur les roses de
Cherchell, qui donne une juste idée de cette exubérance spontanée :
" Ces haies fleuries de roses offraient une autre merveille. Elles
étaient tellement alourdies de corolles, de boutons en grappes, qu'on eût
dit une double file de reposoirs drapés de mousselines et surchargés de
bouquets. Derrière les haies, se dressaient les grands panaches des roseaux.
Toute l'avenue avait l'air d'être ornée pour le passage d'une procession.
Des pétales s'envolaient aux brises. Les touffes et les guirlandes se
soulevaient et se gonflaient comme les falbalas d'une robe de bal. Jamais
nulle part, - pas même à Tipasa, ni dans les roseraies fameuses de Boufarik,
-- je n'en avais vu une telle profusion. Il y en avait de toutes formes et de
toutes nuances : de minuscules comme des bauxias, d'énormes comme des
pivoines, de carminées, de roses pâles, de blanches à peine teintées de
veinules purpurines. Mais toutes avaient la finesse, la transparence de la
gaze, la fragilité, le papillonnement de la neige. Ces fleurs qui semblent
faites pour être gaspillées, écrasées, foulées aux pieds dans des fêtes
ou dans des orgies, il faut les voir comme ici, en buissons exubérants, en
jonchées, en amoncellements de gerbes. On a comme une envie amoureuse de les
prendre à pleine bouche, de se rouler sur elles. On comprend que la rose est,
par excellence, la fleur de volupté, l'emblème cher à Vénus. Ce mois de
mai qui lui est consacré est aussi le mois des roses. Or, je me souviens que
Cherchell dut être, au temps de sa gloire, très dévote à Vénus, si l'on
en juge par le nombre des statues de la déesse qu'on a retrouvées dans ses
ruines. La ville africaine avait voulu faire honneur à sa patronne. Elle
s'était tellement parée de roses que sa ceinture en éclatait et que tout
l'air en était embaumé autour d'elle...
(1) André CHEVRILLON. - Marrakech dans les palmes. Calmann-Lévy Paris, 1922,
in-18, p. 134, 135, 136, 137, 138 et 139.
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