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de strigile, ils entreprirent de me racler l'épiderme. On me
nettoya, on me retourna dans tous les sens. Parfois, le grand maigre
s'arrêtait et il agitait au-dessus de ma tête ses mains
savonneuses.
" - Regarde comme tu étais sale!... Regarde ta peau, ta sale
peau !...
" Je ne m'offensais nullement de ces familiarités, sachant que
c'était un simple artifice pour obtenir un salaire plus élevé.
" Quand ils se furent fatigués à ce jeu, ils m'arrosèrent
d'eau froide répandue à pleins gobelets, et ce me fut une
sensation délicieuse, qui me ranima un peu, Alors ils s'attelèrent
tous les deux à mes bras et à mes jambes, il me les tirèrent, ils
m'écartelèrent. Ils me firent craquer chaque articulation, et, me
tenaillant les muscles entre leurs doigts serrés, comme des étaux,
ils me les tordirent, ils en exprimèrent les dernières gouttes de
sueur. Enfin on me rinça à l'eau froide, on me remit sur pieds, on
m'essuya, on m'attacha une serviette autour des reins, une autre sur
la tête, et, me soutenant par les aisselles, les deux esclaves
m'emportèrent vers le patio. Je ne pouvais plus me traîner, j'étais
exténué. Ainsi enveloppé dans mes linges, inerte et les membres
raidis, j'étais comme un mort qu'on va mettre au cercueil, après
la toilette funèbre.
" Sous la galerie du patio, un matelas recouvert d'un drap
m'avait été préparé par le foulon. Il m'engagea à m'y reposer
jusqu'à l'aube, m'apporta des cigarettes, une tasse de thé, et
s'en alla.
" Une fois étendu sur les draps frais du matelas, je goûtai
un bien-être inexprimable, - quelque chose comme le réveil de la
vie, au début d'une convalescence. Mon corps était brisé, mais je
constatais, en moi, une lucidité d'esprit extraordinaire, une
agilité, une acuité surprenante des sens, cette espèce de
libération de la matière qu'on éprouve dans les rêves. C'était
un état voluptueux et candide. J'habitais un monde étrange et
silencieux. Le murmure du jet d'eau dans la vasque, la respiration
des dormeurs couchés à côté de moi ne faisaient que rythmer ce
silence. La blanche colonnade du patio brillait doucement à la
clarté des veilleuses, et, tout le long des murs, les corps
disséminés formaient des entassements plus sombres. Des apparences
fantômales se levaient par instants, semblaient flotter sous les
arcades. Et l'air tiède était tout chargé de |
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parfums: odeurs de cigarettes musquées, de cumin, de santal, et de girofle...
(1) "
Avant de quitter les villes où la civilisation moderne fait passer ses
tramways, lance ses automobiles, donnons un souvenir ému à l'Alger
d'autrefois et aux étranges petites voitures qu'on y voyait circuler à
l'époque de Fromentin et, nous disait un jeune ministre, - on peut être un
jeune ministre et avoir encore de tels souvenirs - il y a une quarantaine
d'années encore. Elles portaient des noms symboliques : Hirondelle,
Gazelle, Zéphyr, Vole-au-Vent (quelquefois avec d'amusantes fautes
d'orthographe).
" Le voiturin d'Alger est une voiture à claire-voie, faite - . exprès
pour le Midi, qui vous abrite à peu près comme un parasol et vous évente
avec des rideaux toujours agites. Ces carrioles, aujourd'hui très nombreuses,
surtout dans la banlieue que j'habite, sont aussi peu suspendues que possible,
vont horriblement vite, et, chose incroyable, ne versent jamais. Ce sont de
petits omnibus au coffre large assis sur des roues grêles, menés par de
petites rosses barbes à tous crins, efflanquées, haletantes, ayant la
maigreur, la coupe aiguë et la vive allure des hirondelles. On les appelle
des " corricolos ". Jamais nom ne fut plus exact; car elles vont
toujours au galop, courant sur un lit de poussière, volant comme un char
mythologique au milieu d'un nuage, avec un bruit aérien tout particulier de
grelots, de claquements de vitre et de coups de fouet. On dirait que chaque
voiture porte un message. Que le cocher soit Provençal, Espagnol ou Maure, la
vitesse est la même; la seule chose qui varie, ce sont les procédés pour
l'obtenir. Le Provençal aiguillonne son attelage avec des blasphèmes,
l'Espagnol le harcèle à coups de lanières, le Maure l'épouvante avec un
cri du gosier effrayant. Lucrative ou non, cette industrie pleine de verve a
pour effet le plus certain de mettre également tous les voituriers de bonne
humeur.
" C'était Slimen en personne qui me conduisait dans son voiturin peint
en jaune clair, et appelé la Gazelle Slimen est un jeune Maure qui se
civilise. Il parle français, regarde effrontément les étrangères et
s'arrête aux cabarets pour y boire du vin. Il était frais rasé, dispos,
joyeux, tout habillé des couleurs de l'aurore, culotte blanche,
(1) Louis BERTRAND. - Le Jardin de la mort. Paris, Albin Michel, in-18, p. 210
à 215.
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