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   veste gris-perle, écharpe rose, et portait, comme une femme au bal, une fleur de grenadier piquée prés de l'oreille. Menant son équipage d'une main, de l'autre il fumait une cigarette, et chaque fois qu'il ouvrait la bouche pour exciter ses bêtes, des bouffées odorantes lui sortaient des lèvres.
J'avais pour voisin de droite un vieux Maure à figure courtoise, qui rentrait honnêtement de son jardin avec une récolte d'oignons et d'oranges mêlés confusément dans un cabas de paille. En face de moi, un nègre maçon, éclaboussé de, chaux vive, se dandinait au cahot des roues, souriant à des idées joyeuses qui lui remontaient à tout propos dans l'esprit. Au fond trois Mauresques de mine évaporée babillaient sous leurs masques blancs; elles sentaient le musc et la pâtisserie, et leurs haïks s'échappaient par les fenêtres comme de légers papillons. (1) "

III. - Les Tentes

Abandonnons les cités et lançons-nous vers le Sud. Vous connaîtrez maintenant l'attachement que l'on peut avoir pour la tente, cet abri qui offrira l'ombre à vos yeux, le repos à vos membres rompus par les longues chevauchées ou les lentes étapes à d'os de méhari. Un grand voyageur, qui était un causeur délicieux, riche d'anecdotes pittoresques et vécues, Hugues Le Roux a su rendre l'attrait de cette demeure de nomades :
" Au centre du campement on a dressé, pour nous recevoir, la " tente des hôtes ". Au dehors, elle est blanche et parsemée de vases d'un dessin hiératique, coloriés en bleu, qui, du sommet à la base, en cercles toujours plus étroits, décorent la blancheur de la toile. A l'intérieur, c'est une alternance symétrique de bandes rouges et vertes. Des tapis anciens recouvrent entièrement le sol. La tente est meublée de divans bas. Sur ces divans sont étendues des étoffes légèrement ouatées; ce sont des morceaux de soieries claires, bleues-pâles ou jaunes-pâles, à fleurs, entourés de bandes plus foncées; les soieries jaunes sont relevées de rose, les bleues de ponceau vif. Et il y a partout une profusion de traversins et de tabourets multicolores. En sortant

(1) FROMENTIN. - Une année dans le Sahel. Paris, Plon, éd. 1925, in-18, p. 32 à 34.

      

de la plaine où les yeux, pendant des heures, se sont habitués à la monotonie de la terre brûlée, cette chanson de couleurs claires, rencontrée en plein désert, ravit comme une boisson fraîche.
 
" Et l'on goûte aussi sous cette tente la douceur de l'abri, car, dehors, le vent est très vif. Il s'abat tout d'un coup, en rafale, sur le campement de l'agha. Il s'engouffre sous la tente. Il va l'arracher à ses pieux. Mais un cri d'alarme a été poussé, les cavaliers ont vu venir cette trombe; à chaque cordage, il y a un homme qui tire, s'arc-boute. A cette minute, la tente a l'air d'un ballon qui se balance pour s'enlever. Puis la colonne de poussière court vers les montagnes. L'ordre se rétablit. (1) "
 

IV. - Sur les Hauts-Plateaux

Quelquefois l'ordre ne se rétablit pas aussi vite. Sur les hauts plateaux et plus encore dans les régions de dunes (erg) qui les bordent au sud, le vent de sable fait passer au voyageur des heures pénibles. Guy de Maupassant, qui fit un séjour en Algérie dans le second semestre de 1881 et accomplit une tournée dans la région de Djelfa avec des officiers de Boghar, nous a laissé une exacte description d'une tempête de sable :
 
" Un jour, après une marche de dix heures dans la poussière brûlante, comme nous venions d'arriver au campement, auprès d'un puits d'eau bourbeuse et saumâtre qui nous parut cependant exquise, le lieutenant me secoua soudain au moment où j'allais me reposer sous la tente, et me dit, en me montrant l'extrême horizon vers le sud: " Ne voyez vous rien là-bas? "
" Après avoir regardé, je répondis: " Si, un tout petit nuage gris. "
" Alors le lieutenant sourit:  Eh bien, asseyez-vous là  et continuez à regarder ce nuage. "
" Surpris je demandai pourquoi. Mon compagnon reprit: Si je ne me trompe, c'est un ouragan de sable qui nous arrive. "

(1) Hugues LE Roux. - Au Sahara. Paris, Marpon et Flammarion, 1891, in-16, p. 120 et 121.

 
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