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" Il était environ quatre heures et la chaleur se maintenait
encore à quarante-huit degrés sous la tente. L'air semblait dormir
sous l'oblique et intolérable flamme du soleil. Aucun souffle,
aucun bruit, sauf le mouvement des mâchoires de nos chevaux
entravés, qui mangeaient l'orge, et les vagues chuchotements des
Arabes qui, cent pas plus loin, préparaient notre repas.
" On eût dit cependant qu'il y avait autour de nous une autre
chaleur que celle du ciel, plus concentrée, plus suffocante, comme
celle qui vous oppresse quand on se trouve dans le voisinage d'un
incendie considérable. Ce n'étaient point ces souffles ardents,
brusques et répétés, ces caresses de feu qui annoncent et
précédent le siroco, mais un échauffement mystérieux de tous les
atomes de tout ce qui existe.
" Je regardais le nuage qui grandissait rapidement, mais à la
façon de tous les nuages. Il était maintenant d'un brun sale et
montait très haut dans l'espace. Puis il se développa en large,
ainsi que nos orages du Nord. En vérité, il ne me semblait
présenter absolument rien de particulier.
" Enfin, il barra tout le Sud. Sa base était d'un noir opaque,
son sommet cuivré paraissait transparent.
" Un grand remuement derrière moi me fit me retourner. Les
Arabes avaient fermé notre tente, et ils en chargeaient les bords
de lourdes pierres. Chacun courait, appelait, se démenait avec
cette allure effarée qu'on voit dans un camp au moment d'une
attaqué.
" II me sembla soudain que le jour baissait; je levai les yeux
vers le soleil. Il était couvert d'un voile jaune et ne paraissait
plus être qu'une tache pâle et ronde s'effaçant rapidement.
" Alors je vis un surprenant spectacle. Tout l'horizon vers le
sud avait disparu, et une masse nébuleuse, qui montait jusqu'au
zénith, venait vers nous, mangeant les objets, raccourcissant à
chaque seconde les limites de la vue, noyant tout.
" Instinctivement je me reculai vers la tente. Il était temps.
L'ouragan, comme une muraille jaune et démesurée, nous touchait.
Il arrivait, ce mur, avec la rapidité d'un train lancé; et soudain
il nous enveloppa dans un tourbillon furieux de sable et de vent,
dans une tempête de terre impalpable, brûlante, bruissante,
aveuglante et suffocante.
" Notre tente, maintenue par des pierres énormes, fut secouée
comme une voile, mais résista. Celle de nos spahis, moins
assujettie, palpita quelques secondes, parcourue par de grands
frissons de toile; puis soudain, arrachée de terre, |
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elle s'envola et disparut aussitôt dans la nuit de poussière mouvante qui
nous entourait.
" On ne voyait plus rien à dix pas à travers ces ténèbres de sable.
On respirait du sable, on, buvait du sable. Les yeux en étaient remplis, les
cheveux en étaient poudrés; il se glissait par le cou, par les manches,
jusque dans nos bottes.
" Ce fut ainsi toute la nuit. Une soif ardente nous torturait. Mais
l'eau, le lait, le café, tout était plein de sable qui craquait sous notre
dent. Le mouton rôti en était poivré; le kouskous semblait fait uniquement
de fins graviers roulés; la farine du pain n'était plus que de la pierre
pilée menu.
" Un gros scorpion vint nous voir. Ce temps, qui plait à ces bêtes, les
fait toutes sortir de leurs trous. Les chiens du douar voisin ne hurlèrent
pas ce soir-là.
" Puis, au matin, tout était fini; et le grand tyran meurtrier de
l'Afrique, le soleil, se leva, superbe, sur un horizon clair. (1) "
V. - Dans les Dunes
Au Sud des hauts plateaux commencent les dunes (l'erg) qui arrêtèrent
longtemps tous les voyageurs européens et leur firent répéter cette erreur
grossière que le Sahara n'était que vagues de sable. Plusieurs couloirs
traversent du Nord au Sud cette zone de dunes. J'ai personnellement suivi,
pour aller d'Alger au Niger, celui qui du M'zab (Ghardaïa) permet d'atteindre
El Goléa et voici comment m'apparurent les dunes.
" Par de larges plaines entre les plateaux tabulaires que les vents
effritent, et surtout les grandes forces alternées et éternelles de la
chaleur et du froid, nous nous dirigeons vers le sud. Quelques troupeaux de
gazelles nous fuient de loin. Nous rencontrons les premières dunes.
" Elles n'ont l'air de rien, les sournoises. Pas plus hautes que celles
où jouent les enfants sur les plages; mais allez passer là-dedans avec des
voitures qui pèsent prés de cinq tonnes en ordre de marche! Alors commence
la lutte du grain de sable et du moteur.
(1) MAUPASSANT. - Au Soleil. Paris, éd. Cosnard, 1928, in-8°, p. 102,
103, 104 et 105.
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