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" D'une part, cette merveille de l'intelligence humaine, le
moteur, cet être vivant dont les pistons battent comme un cœur,
cet être qui respire, qui au moment de la lutte s'échauffe,
s'énerve, s'emballe comme un ouvrier surmené, et d'autre part le
grain de sable, cette particule infime de la matière inerte, ce
résidu passif de la lutte des éléments contre la roche, cet
infiniment petit de la matière en face de la somme infinie
d'intelligence, de science, d'expérience humaine que totalise un
moteur. Quelle antithèse pour le père Hugo, s'il eût fait partie
de la mission! Elle nous eût valu au moins cinq cents alexandrins
grandiloquents... Mais pendant leur méditation la voiture n'eût
pas avancé.
" Chacun met la main à la pâte; des palans sont glissés sous
les quatre roues motrices qui tournaient folles et creusaient leur
lit sans progresser, des treillis métalliques sont déroulés où
les pneus " prennent " bien; on pousse à l'arrière du
bras et de l'épaule dans le halètement chaud du tuyau
d'échappement et l'on arrive au faîte avec, dans les yeux, la
fierté d'une victoire.
" Le capitaine Lehuraux regarde avec sympathie les "
pékins " qu'on lui a confiés: pour être pourvus de mandats
électifs ou de titres universitaires, ils ne sont pas trop
empotés, ça ira! et l'on repart déjeuner à Djafou, à l'ombre
des voitures.
" Mais il ne faut pas seulement médire de la dune, et l'après-midi
nous comprenons qu'elle ait ses poètes, presque ses amants. Elle a
des formes de femme, tantôt elle recouvre l'épaule d'une colline
rocheuse d'une chair lumineuse et blonde, tantôt elle s'étale,
impudique, comme un jeune buste aux lignes pures; le vent la sculpte
de sa caresse légère, comme le ciseau du statuaire fait jaillir du
marbre des torses fermes et doux; le vent joue avec elle en artiste
amoureux: au creux d'une épaule il dessine ces deux petits plis
qu'aimait M. Ingres, il termine un dos par ce V qu'adorait le grand
Léonard. La dune permet tous les rêves, tous les souvenirs. C'est
une maîtresse à la chair fine et tiède prés de qui le repos est
encore une volupté. (1) "
(1) Pierre DELONCLE. - La Caravane aux éperons
verts. Paris, Mon, 1927, in-18, p. 28 à 31.
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VI. - Dans les Oasis et les Palmiers
En bordure Nord et Sud de la région des dunes, existent des oasis, partout
où l'homme est parvenu à atteindre ou à faire jaillir les eaux. Dans le M'zab
ce sont des puits si profonds qu'il convient d'employer des ânes pour tirer,
au moyen d'une poulie, la longue corde qui remonte les outres pleines. A El
Coléa et dans le R'hir ce sont des puits artésiens, forés par les
Français, qui donnent l'eau génératrice de toute richesse. Il est difficile
d'imaginer la splendeur de végétation d'une oasis: Jérôme et Jean Tharaud
ont su nous en donner une idée fort exacte dans la description que l'on va
lire :
" Après mille détours je découvre enfin le sentier qui descend à
l'oasis. Il faut avoir parcouru, sous un soleil torride, d'immenses étendues
pierreuses, et traversé en plein midi les ruelles de ce village embrasé,
pour sentir le bonheur de se trouver tout à coup dans une vasque de
fraîcheur et d'ombre. Ici plus de maisons, un dédale de petits murs de terre
sèche, des milliers de vergers secrets: on est dans la forêt des dattiers. A
dix mètres au-dessus du sol, leurs palmes recourbées se joignent et forment
un dais verdoyant entre le ciel en feu et la tiède humidité de la terre.
Sous les taillis de lauriers-roses, une traîne embaumée. Dans son ravin de
sable rouge, la rivière, presque desséchée par les canaux qui l'épuisent,
glisse en minces filets de lumière parmi les masses fleuries. Un cavalier en
burnous blanc, monté sur un cheval azuré, vole de rocher en rocher au milieu
de ce bouquet, et sous les pieds de sa monture l'eau jaillit en étincelles.
Des formes blanches, jaunes ou bleues, toutes couvertes de bosses, ou il est
vraiment malaisé de deviner une femme, descendent du village dans l'ombre
verte des sentiers. Sitôt arrivées au bord de l'oued et débarrassées de
leurs fardeaux, battoirs, linges, marmites, larges plats de bois, enfants
même, elles retroussent leurs draperies et piétinent leur linge en cadence,
ou bien elles le battent à deux mains, avec une crosse de palmier, d'un geste
large et pareil à celui d'un exécuteur. Au milieu des lauriers les enfants
s'ébattent dans l'eau. La rivière trop peu profonde pour qu'ils s'y plongent
tout entiers, le bain n'est plus qu'un jeu, une bataille où ils
s'éclaboussent à plaisir; le moindre bruit met en fuite ces gracieux oiseaux
sauvages.
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