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   Pour quelles amours sont suspendues ces grenades entr'ouvertes, et ces grappes de raisin noir, et ces dattes d'un jaune éclatant qui sortent du cœur des palmiers ? On est une âme qui se défait, les pensées sont des fruits qui tombent, des gouttes d'eau qui s'égouttent, un chapelet qui se détache, un collier qui se dénoue. (1) "
 
Dans une oasis, ce qui surprend le plus le voyageur européen, c'est de voir que toute cette admirable végétation, en plusieurs étages superposés, naît du sable réputé infertile dans nos contrées de terres grasses. L'alliance de l'eau et du soleil suffit à assurer la fécondité. La qualité de la terre n'a aucune importance. Au ras du sol ce sont des melons, des pastèques, des concombres, des légumes. Puis une voûte dense d'orangers, de mandariniers, de citronniers, avec leurs fruits d'or et de cuivre, le souple jasmin aux étoiles blanches qui enlace les troncs, ou les roses roses aux pétales légers comme des églantines. Au-dessus ce sont les fusées et les bouquets des palmes, aux lourdes grappes de fruits blonds, serrés comme des essaims d'abeilles. C'est à juste titre que des savants et des amis éclairés de l'Algérie ont tenu en janvier-février 1930 un congrès de la Rose et de l'Oranger à El Goléa. Mais le roi de l'oasis, c'est le palmier, chanté par tous les poètes arabes et qui a inspiré à Louis Bertrand les lignes qui suivent, ferventes comme une prière :
 
"Le bel arbre qu'un palmier! Comme il s'élance! Comme il plane ! Comme l'air joue librement entre ses branches Et quel jet de sève puissante, - une sève qui résiste à l'oppression d'un tel soleil et dont la vigueur semble d'autant plus miraculeuse qu'autour de lui il n'y a que le vide et la stérilité! Un beau palmier vaut un jardin. C'est tout un monde. Des arbres fruitiers croissent sous son ombre; des tribus de lézards et d'ouranes l'habitent; des tourterelles nichent au creux de ses écailles; des bandes d'oiseaux y chantent continuellement, même aux heures les plus chaudes du jour. Il est plein de ramages et de parfums, de lumières et de couleurs. Il est la chanson vivante de ces solitudes. Sans cesse, il vibre comme une grande lyre aérienne. Tantôt ses feuilles crépitantes imitent les gouttelettes

(1) THARAUD (J. et J.). - La fête arabe. Paris, Plon. 1922, in-18, p. 14 à 20.

      

d'une ondée, et, dans cette aridité implacable de la terre, il donne au Bédouin altéré la sensation de la pluie rafraîchissante; à d'autres moments, il module sur une note ténue et plaintive les souffles les plus insaisissables de la brise. Parfois, lorsque le simoun l'assaille et rebrousse les larges éventails de ses bras, il sonne tout entier jusqu'à la racine : c'est le fracas d'un navire dont les antennes gémissent et dont les voiles tendues s'arrachent et grondent sous les coups de l'ouragan... Le palmier est une plante sacrée ! Depuis les temps les plus reculés, pour les fellahs d'Égypte, comme pour les nomades du Sahara, il est l'arbre de la vie et il est l'arbre de la mort. Ses dattes sont si nourrissantes que, chez ces races frugales, elles remplacent tout autre aliment. Son écorce transparente a reçu, avec les antiques hiéroglyphes, les premiers bégaiements de la pensée humaine, son bois a fourni les cercueils des hypogées, ses essences ont parfumé les bandelettes des momies; et c'est dans son tronc desséché que fut creusée la barque funéraire d'Isis... Le palmier est presque une personne divine. Aujourd'hui encore, les hommes du Sud ont pour lui des soins filiaux qui ressemblent aux vestiges d'un culte oublié.
 
" Comment s'étonner de cette idolâtrie du nomade, puisque le palmier est son bienfaiteur et son nourricier ? Et comment ne pas voir dans cet arbre tout le désert résumé comme en un symbole, puisque nul n'y peut vivre, excepté lui? (1) "

VII . - Dans le Désert

Après les dunes et les oasis, c'est le désert, le vrai, celui qui n'est que pierraille; rocaille, le Reg, disent les nomades, par opposition à l'Erg des dunes, celui que l'on appelle,-en plusieurs endroits du Sahara, le Tanezrouft, (il y a plusieurs Tanezroufts), le pays de la peur et de la soif. J'ai traversé celui qui s'étend entre le Hoggar et l'Adrar des Iforas, Un de mes compagnons de route, M. E.-F. Gautier, le véritable maître ès-sciences sahariennes de notre temps, a écrit comme suit, après les avoir parcourues maintes fois, ces

(1) Louis BERTRAND. - Le Jardin de la mort. Paris, Albin Michel, in-16, p. 125 et 126.

 
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