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terribles régions où la pierre elle-même semble souffrir. où
elle éclate sous les influences alternées du grand soleil et du
refroidissement nocturne :
" Le grand danger du désert, c'est la mort de soif. Elle n'est
pas dans la réalité aussi terrible qu'on l'imaginerait. Chez
l'agonisant de soif la conscience paraît disparaître longtemps
avant la vie. Quelques méharistes indigènes, dit Laperrine,
n'avaient plus d'eau depuis la veille au matin, et par un faux
amour-propre de Sahariens, hantés par les légendes de tel ou tel
pillard fameux qui restait des deux et trois jours sans boire comme
son méhari, ils ne s'étaient pas plaints. Mais l'après-midi, les
assoiffés s'évanouirent ; on les ranima en les faisant boire par
petites gorgées, et en leur faisant des injections sous-cutanées
de caféine. Nous avons là-dessus le témoignage de cet observateur
excellent qu'était Barth : il a été retrouvé agonisant de soif
au Sahara tripolitain par ses compagnons qui le ranimèrent. Sa
sensation dominante était l'impuissance de bouger, une atonie à
demi inconsciente. C'est la forme courante de la mort au Sahara.
Ainsi a fini le général Laperrine à la suite d'une panne d'avion.
Il n'est pas très rare de trouver au bord de ces sentiers
sahariens, si peu passagers, des morts de soif, attendant depuis un
mois ou deux l'aumône d'une sépulture, à demi-momifiés par l'air
sec du désert. Mrs Rosita Forbes a vu sur la route de Koufra "
un groupe de squelettes encore frais, restes évidents d'une
caravane morte de soif ". Ceux qui meurent loin des sentiers ne
sont jamais retrouvés et sont portés disparus.
" Il faut se représenter l'emprise sur l'imagination humaine
de ce danger éternellement présent. Songez au départ de la
caravane qui s'engage sur une route où elle sait que tant d'autres
avant elle ont trouvé la mort et qui s'entend faire des
recommandations de ce genre : " Gardez l'étoile polaire bien
en face de votre oeil droit et marchez tout le jour. jusqu'à ce que
vous ayez repéré l'étoile du soir " avec ce conseil
additionnel : " Surtout ne déviez pas trop à l'ouest, parce
que vous iriez au diable. " Représentez-vous le cheminement
interminable à travers le reg uniforme, jour après jour, lorsqu'on
guette le mirage : parce que le mirage relève l'horizon et
permettra peut-être d'apercevoir de plus loin un amer, donnant la
direction. Songez à l'impression du voyageur lorsqu'il reste un
demi-litre d'eau pour dix-sept personnes. que le guide a
manifestement perdu la piste, et que les |
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membres les moins raisonnables de la caravane regardent ce
guide de travers en caressant la crosse de leur fusil.
" Les indigènes sahariens, dans ces moments critiques, savent
le danger de l'émotion; et ils le personnifient dans une de leurs
légendes. Le désert a ses voix : les écarts brusques de la nuit
au jour font parfois éclater avec bruit, ou crisser, les roches
désertiques. C'est ainsi que, au dire des anciens, le colosse de
Memnon saluait le jour, quand ses premiers rayons le frappaient. La
dune aussi parle : certains jours dans certaines dunes, sous
l'influence du vent, ou sous la simple pression d'un pas humain, il
y a des ébranlements, des frémissements; les milliards de grains
de sable frottant légèrement l'un contre l'autre font un
ronflement étrange assez analogue à un roulement de tambour. Ces
bruits mystérieux sont pour les indigènes l'éclat de rire d'un
djinn, qu'ils appellent Roul, et qui est l'ange noir des voyageurs
égarés. Lorsque le voyageur a perdu la pisté, lorsque
l'épuisement de la fatigue, l'atonie de la soif et l'angoisse du
danger commencent à troubler son oeil et à paralyser son cerveau,
alors il croit entendre l'éclat de rire de Roul. (1) " (1)
E.-F. GAUTIER. - Le Sahara. Paris. Payot, 1923, in-16, p. 93
à 95.
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