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père cette bénédiction de Dieu; une jeune vie créée par lui,
née de lui. Les enfants d'Algérie, du Maroc, de Tunisie sont gais
parce qu'ils sont aimés. Ils ont les élans, les bondissements, les
câlineries de jeunes animaux " en confiance ". Voici
comment Fromentin les a vus :
" Nous étions en ce moment sur la place du Marché. Une troupe
d'enfants indigènes s'y livraient à un exercice d'adresse et
d'agilité dont nos collégiens ont l'habitude, et qui, je crois,
est cosmopolite, car on le trouve en Irlande aussi bien qu'en
Orient. Le jeu consiste à lancer une boule, ou un bâton, ou
n'importe quoi de léger qui puisse être enlevé rapidement et
rejeté loin. Chaque joueur est armé d'un bâton, et c'est à qui
arrivera le premier pour relever la boule et la lancer de nouveau.
Les joueurs étaient de jeunes enfants de huit à douze ans,
agréables de visage et déliés de tournure, comme la plupart des
petits Maures, avec la physionomie fine, les yeux grands et beaux,
le teint aussi pur que celui des femmes. Ils avaient les bras nus,
leur cou délicat sortait d'un gilet très ouvert, leur culotte
flottante était relevée jusqu'au-dessus du genou pour les aider à
mieux courir, et une petite chéchia rouge pareille à la calotte
des enfants de chœur garnissait à peine le sommet de leur jolie
tête chauve. Chaque fois que la boule était atteinte et partait,
tous ensemble s'élançaient à sa poursuite côte à côte, en
troupeau serré, comme des gazelles. Ils couraient en gesticulant
beaucoup, perdant leur coiffure, perdant leur ceinture, mais n'y
prenant pas garde, volant directement au but, sans qu'on les vît
toucher le sol, car on n'apercevait du pas léger des coureurs que
des talons nus agités dans un flot de poussière, et ce nuage
aérien semblait accélérer leur course et les porter. (1) "
Dans un ksar perdu du Sahara, une voyageuse slave, Labelle Eberhardt,
âme généreuse et trouble, qui vécut habillée en homme, quelques
courtes années, à Bône, à Tunis, à Beni Ounif, dans divers
postes du Sud (2) et mourut à 27 ans, emportée à Ain Sefra par la
crue subite d'un oued, cette fille étrange dont l'enfance n'a pas
été heureuse, regarde avec tendresse, avec envie peut-être, jouer
d'autres enfants :
" Les enfants, seule note vivante, seule note gaie dans le
silence de
(1) FROMENTIN. - Une année dans le Sahel.
Paris, éd. Plon, 1925, in-18, . 209-210.
(2) M. Raoul STÉPHAN vient de lui consacrer un livre ému et
émouvant Isabelle Eberhardt ou la Révélation du Sahara.
Paris, Flammarion, 1930, in-18.
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nécropole, dans la tristesse nostalgique du ksar.
" Les tout petits surtout sont drôles, noirs pour la plupart, nus sous
des chemises trop courtes, avec, au sommet, de leurs crânes rasés, une,
longue mèche de cheveux laineux entremêlés de menus coquillages blancs ou
d'amulettes.
Ils ont déjà appris à mendier des sous aux officiers qui passent. Ils
sautent autour d'eux; ils trépignent, ils s'acharnent avec des grâces, et
des câlineries de petits chats. Puis ils se battent férocement pour les
monnaies de cuivre qu'on leur jette; ils se roulent et mordent la poussière.
" La meneuse, c'est petite Fathma.
" Elle peut avoir onze ans. Son corps impubère, d'une souplesse féline,
disparaît sous des loques de laine verte, retenues sur sa poitrine frêle.
par une superbe agrafe en argent repoussé, ornée de corail très rouge et
d'une forme rare.
" Petite Fathma est métisse. Son visage rond, aux joues veloutées, une
chaude couleur cuivrée, est à la fois effronté et doux, avec des yeux de
caresse et des lèvres déjà voluptueuses. Dans peu d'années, Fathma sera
très belle et très impudique.
" Menant le vol turbulent des bambins ambrés ou noirs, elle galope à
travers les ruines, égrenant son rire limpide de nymphe folle. Elle apparaît
tout à coup, hasardeusement posée sur le bord d'une terrasse effondrée, ou
sur la crête d'un mur branlant. Elle imploré, elle minaude, elle sourit.
" Un jour, le l'ai vue, en guise de remerciement, prendre la main d'un
roumi, un officier, entre ses menottes tièdes, et lui dire avec un sérieux
troublant: " Je t'aime beaucoup, " ya sidi ! ". L'homme sourit
et attribua cette caresse au désir d'avoir plus de sous. Alors petite Fathma
eut une moue chagrine avec un hochement de tête grondeur. - " Non, non,
ce n'est pas cela. Je t'aime comme ça, pour Dieu ! "
Ce qui signifiait, en arabe, que sa tendresse subite était désintéressée.
Etrange petite créature, qui est comme l'âme charmante mais décevante et
fugitive des ruines rougeâtres. (1) "
Mais il n'y a pas que les jeux. Il y a l'école. Nous ne parlerons pas de
l'École française - où une admirable phalange de maîtres et
d'institutrices accomplissent avec un si haut sentiment de leur mission la
grande oeuvre éducatrice
(1) Isabelle EBERHARDT. - Notes de route. Paris, Fasquelle, 1908, in-18.
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