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   part d'agitation stérile et vaine; aussi à certaines heures éprouvons-nous un impérieux besoin de calme, de silence, de grandes lignes simples comme étendues dans la lumière.
 
A tous ceux qui souffrent de ce besoin, qui désirent une halte de simplicité sur le chemin qu'ils suivent, l'Afrique du Nord peut apporter l'apaisement, au moins momentané, de leurs fièvres et de leurs inquiétudes. S'ils ne lui accordent que quelques semaines de voyage, sans oser lui consacrer toute leur vie comme le firent le Père de Foucauld ou Isabelle Eberhardt (et tant de moins illustres qu'elle a envoûtés et gardés), la terre africaine leur donnera au moins, pour le reste de leurs jours, des souvenirs dont le parfum enchantera leur route. L'on ne peut avoir respiré une fois ce parfum de l'Afrique sans lui garder une gratitude infinie; l'auteur de ces lignes ne possède d'autres titres que cette " reconnaissance africaine " au choix dont il a été l'objet pour les publier. Puissent-elles du moins, par les témoignages qu'elles reproduisent d'auteurs plus qualifiés que lui, éveiller chez tous ceux que toucha la grande inquiétude des temps présents, cette curiosité que méritent si bien l'Afrique et ses habitants indigènes et que ni la terre, ni les hommes ne sauraient jamais décevoir.
 
 
Mais ce n'est pas seulement au repos dans la contemplation de la lumière et dans le recueillement de la vie intérieure que nous convie, nous Français, l'Afrique du Nord devenue française. C'est aussi à l'action pour l'élever sans cesse à plus de bonheur et à plus de richesse.
 
Porte triomphale d'un monde immense et si longtemps fermé, où d'Alger à Brazzaville nous ne foulons sur 41 degrés de latitude que des terres françaises, l'Algérie, flanquée des deux protectorats de la Tunisie et du Maroc, nous apparaît comme un de ces arcs splendides, construits en grand appareil, que Rome élevait sur le chemin de ses légions, à la fois pour glorifier leur passé, et jalonner leur passage sur le chemin qu'elles devaient suivre encore. Tout comme les auteurs de jadis aimaient à placer un frontispice en tête de leur oeuvre, nous voudrions reproduire ici une page de Louis Bertrand, où l'illustre
      

écrivain a si bien montré le sens de ces arcs de triomphe que l'on rencontre en terre africaine en tous les lieux qu'atteignirent les aigles romaines :
 
" Ces arcs de triomphe répandus partout, jalonnant les routes, coupant les avenues des villes, ils provoquent sans cesse mon émerveillement. J'y vois inscrite, comme en des trophées indestructibles, cette belle idée latine du Triomphe, si contraire à la basse envie démocratique des temps modernes. Rendre à un homme des honneurs presque divins, lui tendre la coupe des hymnes en présence de tout un peuple, inventer pour lui des fêtes sans pareilles, afin que des images plus belles accompagnent son ivresse, s'associer, dans le même moment, à la joie qui gonfle son cœur, prendre sa part de sa louange, cette conception généreuse ne pouvait naître que dans une élite de citoyens libres et tels qu'on n'en reverra plus. Il fallait croire, pour cela, à des natures d'élite, intermédiaires entre les hommes et les dieux: " Oui! Je le pense, - dit Cicéron, - ô Scipion, ô Laelius, vous fûtes des hommes divins!!! " Or, on ne jalouse pas les dieux, on les aime et on les vénère.
 
" Cette exaltation de l'individu trouvait son correctif dans le culte des ancêtres et des traditions domestiques et nationales. Le héros, en ces temps privilégiés, n'était pas le fléau céleste qui brûle et qui saccage autour de lui, le révolutionnaire, au romantique délire, qui trahit ses morts et qui renverse la maison de famille; c'était le fils pieux de la Cité, le rejeton accompli en qui s'incarnait toute une race. Aussi la race et la cité se reconnaissaient en lui !... " Triompher! Vivre de la vie des dieux! ... Être des dieux, ne fût-ce que l'espace d'un seul jour! ... Quel stimulant cette ambition devait fournir aux énergies juvéniles! " (1).
Cette magnifique leçon d'énergie que donnent les arcs de triomphe d'Afrique, il faut que nos jeunes gens la comprennent; ce qu'il y a de plus beau dans les monuments de cette sorte, c'est la lumière qui apparaît au delà de leur voûte. Un arc de triomphe, c'est une porte ouverte vers de grands espoirs, et c'est vers l'Afrique française tout entière, que notre jeunesse doit porter les siens. Sans chercher les applaudissements personnels qui pouvaient

(1) Louis BERTRAND. - Le Jardin de la Mort. Paris; Albin Michel, in-18, p. 243 à 245.

 
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