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   nerveuses. Quand la fête est finie, bien sagement elles se rassemblent à l'ordre de leur « manager », grand coquin à face de bandit; elles se drapent dans leurs mousselines, ne laissant plus voir que leurs yeux agrandis de koheul, et je les regarde partir dans le jardin de palmes, tout bleu de lune, blanches et légères comme de petites mariées. (1) »
Fromentin dans la région du Boghar a vu cette jolie danse Ouled Naïl :
 
« La danse du Sud exprime avec une grâce beaucoup plus réelle, beaucoup plus chaste, et dans une langue mimique infiniment plus littéraire, tout un petit drame pas­sionné, plein de tendres péripéties; elle évite surtout les agaceries trop libres qui sont un gros contre-sens de la part de la femme arabe.
 
« La danseuse ne montre d'abord qu'à regret son pâle visage entouré d'épaisses nattes de cheveux tressés de laines; elle le cache à demi dans son voile; elle se détourne, hésite, en se sentant sous les regards des hommes, tout cela avec de doux sourires et des feintes de pudeur exquises. Puis, obéissant à la mesure qui devient plus vive, elle s'émeut, son pas s'anime, son geste s'enhardit. Alors com­mence, entre elle et l'amant invisible qui lui parle par la voix des flûtes, une action des plus pathétiques: la femme fuit, elle élude, mais un mot plus doux la blesse au cœur ; elle y porte la main, moins pour s'en plaindre que pour montrer qu'elle est atteinte, et de l'autre, avec un geste d'enchanteresse, elle écarte à regret son doux ennemi. Ce ne sont plus alors que des élans mêlés de résistance; on sent qu'elle attire en voulant se défendre; ce long corps souple et caressant se contourne en des émotions extrêmes, et ces deux bras jetés en avant, pour les derniers refus, vont défaillir. (2) »
 
Voici, pour en terminer avec ce chapitre de la danse, une « soirée berbère » qui fut offerte dans le grand Atlas Marocain au regretté Docteur Chatinières, un de ces admirables médecins que Lyautey envoyait en plein pays insoumis, armés seulement de leur savoir et de leur générosité, sans escorte, là où pas un soldat n'était passé avant eux. Ce texte est curieux, car il nous montre un groupe d'hommes dansant devant un groupe de femmes, mais sans se mêler à ce dernier :

(1) Pierre DELONCLE. - La Caravane aux éperons verts. Paris, Plon, 1927, in-18, p. 17-18.
(2) FROMENTIN. - Un été dans le Sahara. Paris, Crès et Cie, in-12, p. 57-58.

      

« Le cheikh, pour fêter ma venue, avait ordonné des réjouissances à la mode du pays, et à la chute du jour. quelques hommes réunis sur la place du village tapaient à coups redoublés sur de grands tambourins en peau de chèvre, appelant ainsi les montagnards et les conviant à la fête de nuit. La vallée, à ce moment, paraissait plus resserrée encore et le site plus intime. Un palmier unique, arbre du désert égaré en montagne, projetait sa silhouette grêle sur les amas sombres de verdure. Le serpent argenté de l'oued, animé par la rapidité du courant, palpitait de mille reflets. Son murmure accru par le silence de la nuit se répercutait à tous les échos de la montagne, coupé par le rythme sauvage des tambourins; à leur appel, de petites lumières vacillantes, apparaissant alors au-dessus de nos têtes, descendirent lentement en zigzags; elles grandissaient en s'approchant, laissant bientôt distinguer de petits groupes d'hommes et de femmes, précédés d'une lanterne. Les nouveaux venus s'alignèrent, épaule contre épaule, les hommes avec les hommes, les femmes ensemble.
 
Les deux groupes se faisaient face. Les hommes aux tambourins entonnèrent alors d'une voix criarde une vieille cantilène; les femmes reprirent l'air d'une voix douce, fine et timide. Insensiblement, ils se mirent à danser; les épaules penchées en avant, et les têtes nonchalamment inclinées. Le groupe des hommes et celui des femmes, comme deux longs chapelets, se balançaient lentement et d'un seul mouvement, les genoux pliaient, les hanches oscillaient, toutes les épaules s'élevaient et s'abaissaient en même temps, les mains jointes battant en cadence et les pieds frappant le sol.
 
Les deux groupes décrivaient lentement des courbes en ailes de moulin. Petit à petit, le rythme s'accéléra et les mouvements se précipitèrent. Brusquement, la lune se montra dans l'entrebâillement des deux sommets neigeux et chassa les ombres qui dissimulaient les danseurs. Aussitôt les physionomies fines et gracieuses des femmes se devinèrent, s'harmonisant avec leurs costumes blancs, rehaussés du voile et de la ceinture de couleur si seyante qu'elles avaient revêtue pour la fête. Les hommes paraissaient rudes et leurs muscles épais s'accordaient assez bien avec la bonhomie de leurs traits. La douce lumière que la lune répandait sur toute la vallée, le murmure si doux de l'oued, la simplicité des chants et de la danse formaient un ensemble d'une exquise et paisible harmonie. De loin, nous parvenaient les cris

 
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