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   doute parce que celui-ci les méprise à cause de leur taille exiguë. - Ils ne donnent jamais de la voix en suivant la piste, mais dès qu'ils aperçoivent le lion, ils poussent un petit aboiement aigu, auquel les traqueurs ne se trompent pas. La tradition dit qu'ils doivent alors prononcer d'une voix tranquille : « Le lion n'est pas là». « Le lion qui comprend, disent les Arabes, qu'il n'a pas été aperçu et que pourtant une attaque est dirigée contre lui, quitte sa tanière et cherche à se cacher, en se faufilant derrière les massifs de lentisque ». Car, il ne faut pas l'oublier, le lion a peur de l'homme.
 
« Au bout d'une heure de quête par les traqueurs et leurs roquets, pendant laquelle le plus grand silence régnait parmi les chasseurs, nous entendîmes deux petits cris aigus, poussés à quelque distance l'un de l'autre. Deux animaux étaient donc signalés. La tanière du lion était creusée dans un rocher abrupt. Les cavaliers, sur l'ordre de l'agha, formèrent un grand arc de cercle, dont les deux extrémités aboutissaient à la base de la colline à laquelle était adossée la tanière du lion.
 
« Le terrain compris entre elle et la ligne de cavaliers était légèrement incliné vers la plaine.
« Les fantassins armés formèrent en même temps un cercle plus étroit parallèle à celui des cavaliers. J'étais place au centre à côté de Sidi Lantseri. Nous pûmes apercevoir distinctement le lion qui se dérobait entre les maquis. Le cercle se resserrait. Deux ou trois coups de feu retentirent, nous vîmes alors le noble animal s'élancer en quelques bonds sur une large clairière, se coucher à plat ventre, appuyer son énorme tête sur ses deux nattes de devant et se frapper les flancs de sa queue avec une telle force, que nous entendions résonner les coups.
 
« La fusillade crépita; les chasseurs étaient ou bien émotionnés, ou bien maladroits, car le lion se contentait de secouer les oreilles, tandis que les balles soulevaient la terre autour de lui, le cercle se rétrécissait de plus en plus, le lion fit d'un coup trois énormes bonds et deux hommes tombèrent.
« Il se coucha de nouveau, fit encore trois bonds, et trois hommes furent renversés; puis il força le cercle des fantassins, arriva aux cavaliers qui prirent la fuite à son approche et s'élança dans la plaine; mais il était blessé et ne tarda pas à être achevé par des cavalier plus hardis qui le poursuivirent.
       « A peu près en même temps, la lionne forçait le cercle des fantassins dans notre direction. Je voulais suivre les cavaliers qui se mirent à sa poursuite, mais Sidi Lantseri saisit les rênes de mon cheval et me retint auprès de lui. Un des cavaliers fut renversé ainsi que son cheval par la lionne qui atteignit les maquis voisins et disparut. Les deux lionceaux âgés de quatre mois avaient été tués. (1) »

Avec beaucoup moins de monde, il est possible d'organiser au Sahara une chasse fort palpitante. Il suffit, comme le raconte Maupassant, d'enfermer dans une caisse à savon un ourane (lézard) et une léfaa (vipère des sables) :
 
« Le combat de ces deux animaux est d'ailleurs plein d'intérêt. Il a lieu généralement dans une vieille caisse à savon. On y dépose le lézard qui se met à courir avec une singulière vitesse, cherchant à fuir; mais, dès qu'on a vidé dans la boîte le petit sac contenant la vipère, il devient immobile. Son oeil seul remue très vite. Puis il fait quelques pas rapides, comme s'il glissait, pour se rapprocher de l'ennemi, et il attend. La léfaa, de son côté, considère le lézard, sent le danger et se prépare à la bataille; puis, d'une détente elle se jette sur lui. Mais il est déjà loin, filant comme une flèche, à peine visible dans sa course. Il attaque à son tour, revenu d'une lancée avec une surprenante rapidité. La léfaa s'est retournée, et tend vers lui sa petite gueule ouverte prête à mordre de sa morsure foudroyante. Mais il a passé, frôlant le reptile qu'il regarde de nouveau, hors d'attente, de l'autre bout de la caisse.
 
« Et cela dure un quart d'heure, vingt minutes, parfois davantage. La léfaa, exaspérée, se fâche, rampe vers l'ourane qui fuit sans cesse, plus souple que le regard, revient, tourne, s'arrête, repart, épuise et affole son redoutable adversaire. Puis soudain, ayant choisi l'instant, il file dessus si vite qu'on aperçoit seulement la vipère convulsée, étranglée par la forte mâchoire triangulaire du lézard qui l'a saisie par le cou derrière les oreilles, juste à la place où la prennent les Arabes. (2) »
 

(1) Léon ROCHES. - Dix ans à travers l'Islam. 1834-1844. Paris, Perrin et Cie, 1904, in-18, p. 59 à 61.
(2) MAUPASSANT. - Au Soleil. Paris, Cosnard, 1928, in-8°, p. 120, 121, et 122.

 
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