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l'autre dans la main gauche; dans la droite il avait un pistolet
dont il fit feu; puis il fit feu de ses deux fusils, l'un après
l'autre, en les changeant de main, les lança comme un jongleur fait
de deux cannes, et disparut étendu sur le cou de sa bête, son
menton touchant la crinière.
« La mousqueterie ne cessa plus. Coup sur coup, sans relâche, des
cavaliers se succédèrent à travers un rideau de poussière et de
poudre enflammée, et les femmes, qui continuèrent de battre des
mains et de pousser des glapissements bizarres, purent respirer
pendant une heure l'ardente atmosphère d'un champ de bataille.
Imagine ce qui ne pourra jamais revivre dans ces notes, où la forme
est froide, où la phrase est lente; imagine ce qu'il y a de plus
impétueux dans le désordre, de plus insaisissable dans la vitesse,
de plus rayonnant dans des couleurs crues frappées de soleil.
Figure-toi le scintillement, des armes. le pétillement de la
lumière sur tous ces groupes en mouvement, les haïks dénoués par
la course, les frissonnements du vent dans les étoffes, l'éclat,
fugitif comme l'éclair, de tant de choses brillantes, des rouges
vifs, des orangés pareils à du feu, des blancs froids
qu'inondaient les gris du ciel; les selles de velours, les selles
d'or, les pompons aux têtières des chevaux, les oeillères
criblées de broderies, les plastrons, les brides, les mors trempés
de sueur ou ruisselants d'écume. Ajoute à ce luxe de visions, fait
pour les yeux, le tumulte encore plus étourdissant de ce qu'on
entend : les cris des coureurs, les clameurs des femmes, le tapage
de la poudre, le terrible galop des chevaux lancés à toute volée,
le tintement, le cliquetis de mille et mille choses sonores. Donne
à la scène son vrai cadre que tu connais. calme et blond,
seulement un peu voilé par des poussières, et peut-être
entreverras-tu, dans le pêle-mêle d'une action joyeuse comme une
fête, enivrante en effet comme la guerre, le spectacle éblouissant
qu'on appelle une fantasia arabe. (1) »
XII. - La Guerre (le baroud)
La plus belle fantasia était celle que le cavalier arabe
exécutait avec des fusils chargés à balles. C'était le baroud.
C'était le combat tel qu'il l'a si longtemps soutenu contre les
spahis de Yusuf et les chasseurs d'Afrique de Morris.
(1) FROMENTIN. - Une année dans le Sahel.
Paris, Plon, éd. 1925, in-18, p. 265 à 268.
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Ce combat avait l'élégance d'un sport, la grâce et l'aisance d'un
jeu... où la mort servait de mise. II avait autrement de noblesse
et supposait une autre valeur personnelle chez les combattants que
la guerre à l'allemande avec un masque à gaz sur le visage et un
flammenwerfer à la main.
« C'est un spectacle toujours pareil et toujours assez passionnant,
ces engagements de harka. On dirait un ballet guerrier, une figure
de carrousel. Les deux partis sont face à face. L'un d'eux
s'élance ventre à terre, derrière ses porteétendards,
décharge ses fusils, tourné bride, et toujours à fond de train
s'enfuit, ses drapeaux déployés. Alors, l'autre parti de
s'élancer à son tour, lui aussi bride abattue. Il tire, fait une
volte rapide, puis revient à toute allure sur ses pas, poursuivi
par son adversaire qui a rechargé ses armes, galope, lâche son
coup de feu et se dérobe à nouveau. Et cela indéfiniment, comme
dans une fantasia, où le risque de la mort ne fait qu'ajouter au
plaisir. (1) »
XIII. - La Mort
Un proverbe arabe dit : L'amour dure sept secondes, la fantasia
sept minutes, et la misère toute la vie. Après avoir aimé, avoir
brillé à la chasse ou dans les combats, après avoir gagné sa vie
par un labeur ou un autre, le plus souvent après avoir vécu
pauvrement dans un pays où les meskines (les pauvres) sont plus
nombreux que les riches, la destinée conduit l'Arabe, au chant d'un
iman et de ses amis (ces mélopées funéraires sont souvent très
belles), à la petite tombe où il est basculé d'une civière, dans
son linceul. Du haut de la tour des Oudayas, à Rabat, qui domine le
plus émouvant des cimetières musulmans, celui près duquel la mer
se lamente à jamais, celui que recouvre, comme d'un tapis de
velours vert usé, une herbe folle toute pâlie de sel, ou à
Tlemcen sous de hautes allées de cyprès noirs, j'ai vu des
enterrements de pauvres gens. Certes dans nos églises, avec nos
déchirantes liturgies et la grandeur des prières latines, la mort
est enveloppée, drapée de grandeur et de respect. Mais que dire de
ces convois à travers nos villes trépidantes dont . la fièvre
(1) Jérôme et Jean THARAUD. - Marrakech ou
les Seigneurs de l'Atlas. Paris, Plon, 1920, in-16, p. 257 et
258.
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