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   qui est à l'heure actuelle inséparable de sa popularité. Ce texte est confirmé par le Maréchal Canrobert, dans ses Souvenirs d'un siècle, publiés par Germain Bapst (Paris, Plan, 1899, in-12°, T. I., p. 40)
« Dans une de ces surprises de nuit, plus sérieuse que les autres, le maréchal, qui, contre son habitude, s'était déshabillé pour se coucher dans son petit lit de camp, fut réveillé par une vive fusillade; il ne prend que le temps d'enfiler ses bottes, et, en chemise, coiffé de son bonnet de coton, il s'élance vers la partie du camp attaquée, rétablit l'ordre légèrement troublé par la panique de quelques soldats à moitié endormis, de sa voix de stentor fait cesser le feu, et veut marcher en tête du bataillon qu'il a organisé pour fondre à la baïonnette sur les assaillants.
« Nous eûmes toutes les peines du monde à l'arrêter. Quelques minutes après, notre bataillon revenait avec des armes et des prisonniers.
« C'est depuis ce jour-là, ou plutôt cette nuit-là, que les soldats, en souvenir du casque à mèche, chantent sur l'air de la marche des zouaves: « As-tu vu la casquette ? (1) »
 
On a souvent dit qu'une des grandes forces de la religion musulmane était l'acquiescement à la volonté de Dieu. Que l'on appelle ce sentiment fatalisme ou résignation, il nous paraît mieux valoir que l'esprit de révolte contre le destin. Il est exprimé de façon émouvante dans la chanson saharienne que nous reproduisons ci-dessous :
 
« C'est le soir, l'heure des chants, des longues mélopées, improvisations naïves et poignantes sur les choses de la guerre et de l'amour, sur l'exil et la mort, à la manière des antiques rapsodes.
« Les chefs nous annoncent une expédition lointaine :
« Mon cœur est mon avertisseur,
« Il m'annonce une mort prochaine.
« Qui me verra mourir? qui priera pour moi?
« Qui fera pour ma mémoire l'aumône sur ma tombe?
« Ah! qui sait ce que me réserve la destinée de Dieu ?
« Ma gazelle blanche m'oubliera.
« Un autre montera ma douce cavale...
« O cœur, tais-toi! Ne pleure pas, mon oeil !
« Car les larmes ne servent à rien.

(1) Léon ROCHES. - Dix ans â travers l'Islam. 1834-1844, Paris, Perrin et Cie, 1904, in-18, p. 454.

       « Nul n'obtiendra ce qui n'était pas écrit,
« Et ce qui est écrit, nul ne l'évitera...
« Calme-toi, mon âme, jusqu'à ce que Dieu ait pitié,
« Et si tu ne parviens pas à te calmer, il y a la mort...
« Les chanteurs modulent leurs élégies, accompagnées du djouak doux, le petit chalumeau bédouin, aux mystérieux susurrements, coupés parfois aussi par les cris sauvages et les stridences de la rhaita. (1) »
 
Pour connaître tout ce qu'il peut y avoir de sincérité d'élan, de ferveur dans la religion islamique, il faut lire cette belle page d'André Chevrillon, qui nous rappelle le début d'une prière que chantent du haut des minarets les muezzins de Fez pendant la nuit ou à l'aurore « Priez, croyants, la prière vaut mieux que le sommeil »
« Une certaine nuit, je ne sais ce qu'ils avaient, les moueddens, mais ils chantaient avec des accents si véhéments et si purs, leurs hautes notes se tendaient si vibrantes, ils modulaient avec une telle ardeur, une telle volonté d'élancer leur foi jusqu'au fond de l'espace, qu'il n'était plus question de dormir. Ma montre marquait deux heures et demie. A la lueur de la pauvre chandelle de bazar (qui fit vaguement apparaître, aux vantaux du portique, le fantas­tique décor de roues, de soleils entremêlés), je gagnai l'autre bout de la longue chambre arabe, et puis, par le vieil escalier en colimaçon, la porte de la terrasse. Un lourd loquet de fer poussé, toute la nuit m'apparut.
 
« Elle était d'un bleu liquide et vaguement lumineux. Un croissant de lune que j'avais regardé flotter avant d'aller dormir avait disparu. A ce signe, on percevait le progrès des heures, on voyait que, durant l'évanouissement du sommeil, la terre avait tourné dans l'espace, et que, par, en-dessous, le matin devait commencer à monter. Entre les brillantes étoiles remuées de leur frisson sans trêves, la Polaire, repérée par la Grande Ourse, et sensiblement abaissée, signalait l'étrange latitude.
« A mon premier pas sur la terrasse, le mouedden le plus voisin se tut: pure coïncidence, mais ce fut exactement - la même impression de secret que si l'on approche, la nuit. d'un taillis où s'exalte un invisible rossignol, et le chant aussitôt s'évanouit. Au loin, durant ce long silence, J'enten­dais s'épancher les autres...

(1) Isabelle EBERHARDT. - Notes de route. Paris, Fasquelle. 1908, in-18.

 
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