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   DINET. - Conteur arabe, contant la vie du Prophète.        « Il reprit, et tout de suite il n'y eut plus que lui, que cette ardente et mordante clameur qui, d'une longue tenue tremblée, emplissait l'espace. De l'homme, on ne voyait rien. Seulement la tour d'où s'élançait la voix, et que d'eux terrasses, tout au plus, séparaient de la mienne: silhouette d'ombre, presque insubstantielle dans le bleu de la profondeur constellée. Mais quelle certitude et plénitude d'être, quelle force vivante, quelle triomphante volonté dans ce jaillissement de foi enthousiaste! Ce n'était pas la simple, invariable mélopée de l'appel à la prière; cela semblait varier, s'infléchir, moduler, s'arrêter et reprendre, suivant les ondes, les afflux d'une inspiration. On eût dit que l'homme ne chantait que pour lui-même, comme le rossignol encore, enivré d'être seul, de posséder la nuit et d'y exhaler à l'aise sa passion d'absolu.
 
« Et par delà le minaret fantôme, l'étendue de la ville aussi n'était que vague et pâleur. Pas un humain visible. Pas un bruit que ces voix. Le détail changeant des êtres et des choses s'était évanoui. Rien ne restait que de l'essentiel et du permanent. Ce chant; c'était de l'âme, l'âme islamique, qui s'est incarnée en des millions de vivants. Dans la nuit tiède, sous les feux et les frissons de l'univers, elle n'était qu'ardeur et qu'adoration. (1) »
Une telle religion est profondément digne de respect. Elle affirme une indiscutable valeur. Un témoignage que l'on ne peut, à cet égard, récuser est celui d'Isabelle Eberhardt qui lui donna les dernières années d'une courte vie inquiète mais prodigieusement sensible :
 
« Souvent, aux heures envolées de prospérité, j'ai trouvé la vie ennuyeuse et laide. Mais depuis que le ne possède plus mon esprit toujours en éveil, depuis que la douleur a trempé mon âme, je sens, avec une sincérité absolue, l'ineffable mystère qui est répandu dans toutes les choses...
« Le pâtre bédouin, illettré et inconscient, qui loue Dieu en face des horizons splendides du désert au lever du soleil, et qui le loue encore en face de la mort, est bien supérieur au pseudo-intellectuel qui accumule phrases sur phrases pour dénigrer un monde dont il ne comprend pas le sens, et pour insulter à la Douleur, cette belle, cette sublime et bienfaisante éducatrice des âmes...

(1) André CHEVRILLON. - Marrakech dans les palmes. Calmann-Lévy, Paris, 1922, in-18, p. 179, 180 et 181.

 
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