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« Jadis, quand je ne « manquais de rien » matériellement, mais
quand je manquais de tout intellectuellement et moralement, je
m'assombrissais et me répandais sottement en imprécations contre
la Vie que je ne connaissais pas. Ce n'est que maintenant, au sein
du dénuement dont je suis fière, que je l'affirme belle et digne
d'être vécue. (1)
II. - La Valeur Intellectuelle
Aujourd'hui où l'Algérie nous a donné tant d'hommes de valeur
dans tous les domaines de l'intelligence, du savoir, de la vie
sociale, il paraît superflu d'affirmer les dons intellectuels des
indigènes. Mais il n'est peut-être pas inutile de citer à ce
sujet le témoignage non d'un artiste, mais d'un officier qui servit
brillamment en Algérie sous la monarchie de Juillet et le second
Empire, le général da Barail :
« Les jeunes Arabes, dans les écoles et les collèges où ils ont
la chance de tomber sur des maîtres qui les aiment, qui se
dévouent à eux, apprennent avec une facilité, une rapidité
incroyables, et il serait très possible, si on le voulait bien,
d'en mettre, chaque année, un certain nombre en état de subir
victorieusement les épreuves des concours et des examens.
« On dit, je le sais, que l'Arabe retient tout ce qu'on lui
enseigne jusqu'à l'âge de treize ou quatorze ans, mais qu'à cet
âge son intelligence semble s'endormir, et qu'il ne peut plus
dépasser le niveau rapidement conquis. On attribue ce phénomène
à une cause commune à tous les pays d'Orient: les écarts de mœurs
qui signalent l'âge de la puberté, la vie de harem. Je ne nie pas,
loin de là, que dans l'éducation arabe il y aurait des déboires
et des pertes; mais, cependant, on a des exemples, de jour en jour
plus nombreux, qui prouvent que l'Arabe n'est point si réfractaire
à notre mouvement intellectuel. Il y a, à Alger, des médecins
indigènes qui ont leur diplôme de docteur de nos grandes
Facultés. Or, un peuple qui fournit des médecins peut fournir des
ingénieurs, des jurisconsultes, des administrateurs; car, de toutes
les branches dû savoir humain, la médecine est certainement celle
dont l'étude entraîne le plus grand effort intellectuel. Ce n'est
(1) Isabelle EBERHARDT. - Notes de route.
Paris, Fasquelle, 1908, in-I8.
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donc pas une utopie que je poursuis, en insistant sur un système
qui, s'il était adopté et poursuivi avec persévérance malgré
les accidents passagers, produirait un grand effet sur la population
de l'Algérie et nous vaudrait plus qu'un -demi-siècle de guerre.
(1) »
II. - L'Amitié
Peut-on trouver un plus bel éloge de l'amitié que celui gui est
contenu dans cette chanson berbère ?
« Le troubadour, Si Hammon, chante l'amitié en jolis vers
chelleuhs. El Hadj Omar voulut bien me les dire :
« Que Dieu garde Si Hammon, le chanteur :
« La balle de l'embusqué est plus amère que tout.
« Les larmes de l'ami qui pleure sont amères.
« Le laurier-rose est amer; qui jamais l'a mangé et trouvé bon ?
« Moi, je l'ai mangé pour mon ami; il n'était pas amer.
« Il ne dira jamais, celui qui n'a pas d'ami:
« J'ai été heureux. »
« Parce que, la vie, ce sont les amis qui la font passer.
« Celui qui a le cœur brisé, qui le guérira ?
« Sinon le sourire de l'ami, ou sa parole.
« Le cœur qui n'a point à qui parler,
« Mieux vaut, pour lui, l'exil ou même la mort.
« Le fusil ne se sépare pas de la balle.
« Les yeux peints ne se séparent point de l'antimoine.
« Le cœur ne se sépare pas de ses amis,
« Jusqu'à ce qu'ils entrent sous terre. (2) »
IV. - L'Hospitalité
L'amitié se traduit par l'hospitalité. Mais le sens de
l'hospitalité n'est pas seulement pour l'Arabe une qualité
sociale; la pratique de l'hospitalité prend à ses yeux la valeur
d'un mérite religieux, comme l'a fort bien dit Fromentin, dans les
lignes qui suivent :
(1) Général Du BARAIL. - Mes souvenirs.
Paris, Plon, 1897, in-8o Tome 1, p. 405 et 406.
(2) Docteur Paul CHATINIERES. - Dans le Grand Allas marocain. Paris.
Plon, 1919, in-18, p. 95.
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