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   « J'avais sur les bras une garnison de plus de mille hommes. y compris deux cents blessés, parmi lesquels un officier général et dix officiers de différents grades. Et, pour nourrir tout ce monde-là, à part quelques caisses de biscuit et quelques sacs de riz, je n'avais rien; mais littéralement rien! ce qui s'appelle rien; pas un bœuf, pas un mouton. pas un morceau de lard ou de viande salée, pas un centime pour en acheter et pour payer le prêt échu.
 
« Je ruminais mon dénuement, en me laissant aller au pas cadencé de ma monture qui, comme les chevaux d'Hippolyte, « semblait se conformer à ma triste pensée ».
Et il faut croire que mon visage la reflétait aussi, car je m'entendis interpeller en arabe par un cavalier, qui était venu se mettre botte à botte avec moi, et qui me disait:
« - Du Barail, tu n'as pas l'air content! Qu'est-ce que tu as ? C'était le second fils du pauvre vieux Ben-Salem; c'était Cheick-Ali qui était venu avec moi accompagner la colonne du général.
« - Ah! c'est toi! lui dis-le, eh bien, tu as raison; je ne suis pas gai. Je suis dans la plus horrible détresse. Je puis bien te le dire: je n'ai ni argent, ni vivres. Je ne sais pas avec quoi on fera la soupe ce soir, non seulement pour la garnison, mais pour les blessés.
« Cheick-Ali me dit simplement :
« - Combien te faudrait-il d'argent ?
« - Quarante mille francs.
« - Tu les auras dans une heure. Et de la viande, combien t'en faut-il ?
« - Il me faudrait cent bœufs et cinq cents moutons.
« - Tu les auras avant midi.
« Et il partit en avant à toute bride. Je n'ai jamais su comment il s'y prit. Il est probable qu'il avait trouvé, chez le marabout d'An-Mahdi, un dépôt sûr pour son argent, au début des troubles, tout en en conservant une partie dans quelque cachette, à Laghouat. Quant à ses troupeaux, ils formaient une petite tribu, vivant presque toute l'année entre le M'zab et Laghouat, et confiée à des gens qu'on appelait les Mékalifs-el-Adjérab (les Mékalifs galeux). Je ne sais pas trop pourquoi ils ont mérité ce surnom. Toujours est-il qu'en rentrant à Laghouat, je trouvai ses serviteurs déjà occupés à transporter à mon logis les sacs d'écus et que, quelques minutes avant midi, les cent bœufs et les cinq cents moutons débouchaient devant ma porte, d'où ils partirent pour être confiés à l'Intendance, pendant que l'argent était distribué aux officiers payeurs et aux chefs des différents services, contre des reçus.
       « C'est donc à Cheick-Ali, à un de ces chefs arabes que nous avons si souvent méconnus et dont, pour ma part, je n'ai jamais eu qu'à me louer, que je dois d'avoir pu me tirer de ce mauvais pas. Sans lui, je ne sais réellement pas ce que j aurais fait, et le brave cœur me rendit ce service avec une simplicité qui en doublait le prix. On aurait dit qu'il faisait la chose du monde la plus ordinaire et la plus naturelle. (1) »

VI. - La Valeur Militaire

Empruntons encore au général du Barail un magnifique éloge des vertus guerrières de cette race que nos soldats ne purent combattre sans l'estimer :
 
« Ce qui m'a toujours porté à aimer l'Arabe, ce qui fait qu'aujourd'hui la vue d'un burnous blanc m'attire, m'attendrit presque, c'est que l'Arabe est avant tout un soldat incomparable. A la guerre, le mépris de la mort qu'il puise dans sa foi religieuse lui donne une bravoure sans limités. Avec cela, il est obéissant, discipliné; il reste sobre tant que les fréquentations malsaines ne lui font pas oublier les préceptes du Coran. Enfin, il est fidèle; attaché, dévoué. reconnaissant pour les chefs qui lui témoignent de l'intérêt et de l'affection, et je ne connais pas de commandement plus agréable, pour un officier, que celui d'une troupe indigène...
 
Nos troupes indigènes nous ont toujours servi fidèlement. même quand elles avaient à combattre des insurrections dont, au fond du cœur, elles pouvaient, elles devaient désirer le succès, et ce lien mystérieux qui les retenait sous nos drapeaux s'appelle: le sentiment du devoir militaire. L'Arabe est fait pour porter les armes, et c'est bien notre faute si nous n'avons pas su mieux utiliser les précieuses ressources qu'il peut fournir à notre puissance militaire. (2) »
 
Il est des faits d'armes dont s'enorgueillit l'histoire de France comme celui du chevalier d'Assas, mais dont on peut trouver l'équivalent dans l'histoire de l'Algérie, à la gloire des fils de cette terre

(1) Général DU BARAIL. - Mes Souvenirs. Paris, Plon, 1898 in-8°. T II, p. 58, 59 et 60.
(2) Général DU BARAIL. - Mes Souvenirs. Paris, Plon, 1897, in-8°. Tome 1, p. 406 et 407.

 
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