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Nous assistons ainsi, sous l'égide de nos lois, à la formation
d'une classe moyenne citadine qui a déjà de fortes assises et qui
ne présente rien de commun avec la fausse « bourgeoisie »
entrevue au XVIIIème siècle par Venture de Paradis.
LES TRIBUS
Deux écoles se trouvent en présence pour définir la nature,
l'organisation et le rôle de l'ancienne tribu. D'une part, Renan,
suivi par Seignette et les écrivains militaires de 1860, voit dans
la tribu un groupe consanguin, homogène et de même origine.
D'autre part, une école plus récente, à la tête de laquelle nous
trouvons MM. Doutté et A. Bernard, conteste cette théorie un peu
trop patriarcale en ce qu'elle a d'absolu. Se fondant sur des
constatations faites au Maroc, M. Augustin Bernard a montré ce que
la tribu a d'hétérogène et même d'artificiel : « C'est bien à
tort que l'on considère l'assemblage des familles qui constituent
une tribu comme unies par les liens du sang. La tribu est
généralement composée d'éléments de provenances diverses; elle
ne se développe pas seulement par intussusception, mais par
juxtaposition. Les divisions des groupes de populations constituent
d'ordinaire, non des rameaux issus d'une même souche, mais des
greffes supportées par un pied primitif. » (A. Bernard, L'Algérie,
352). M. Doutté écrit que la tribu doit être représentée, non
sous la forme d'un arbre généalogique, « mais bien sous celle
d'un tronc primitif souvent complexe lui-même qui a, d'une part,
reçu du dehors d'innombrables greffes et perdu, de l'autre,
quantité de rameaux. » (Doutté, Merrakech, 52).
Sans prendre parti entre ces deux doctrines, probablement vraies
toutes deux suivant les époques ou les régions, il est certain
qu'il existait dans chaque tribu un héritage oral, historique, un
patrimoine commun de souvenirs, un ensemble de mœurs qui formaient
l'enfant et absorbaient rapidement le nouveau venu.
Aucune valeur n'était reconnue à l'initiative individuelle et à
la personnalité. « La tribu constitue une oligarchie de traditions
dont nul ne saurait s'affranchir. Elle dissout toute originalité,
toute velléité d'indépendance, toute volonté susceptible de lui
résister. Elle façonne, suivant un type uniforme, le petit
indigène, pourtant si malléable, qui respire sa pesante
atmosphère. Elle est par excellence
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un organe de conservation sociale, soustrait à l'évolution, au
progrès, à l'innovation et qui nous restitue, après des siècles,
des formes de civilisation contemporaines de la Bible. »
Le danger de cette organisation étouffante apparut bien en 1863 au
moment du Sénatus-Consulte, dont l'un des buts était de dissocier
la tribu pour briser son unité et la répartir en douars-communes.
Le législateur obéissait au souci de disloquer les résistances
collectives qui s'étaient opposées tout d'abord à notre emprise,
d'abattre les pans vermoulus de ce bâtiment séculaire; d'y faire
circuler à grands flots l'air vivifiant et libre.
On verra, à l'important chapitre consacré à la propriété
indigène, les effets techniques du Sénatus-Consulte. Nous ne
pouvons ici que souligner le résultat obtenu par la division de la
tribu en plusieurs douars-communes qui offrent à l'activité de nos
administrés un cadre local plus moderne et plus souple. Plus de
force occulte émanée de la collectivité anonyme, qui paralysait
l'individu et l'asphyxiait dans une morne torpeur. Plus de «
moralité » rétrograde faisant d'une injure, d'un vol, d'un
meurtre, un motif de vengeance dont chaque indigène devait être
l'instrument résigné. Plus de lourd servage imposé par les
traditions barbares et les préjugés arriérés du folklore. Mais
une sorte d'indépendance, d'émancipation, de liberté
individuelle. La cellule sociale qui était autrefois la tribu
est, aujourd'hui, la famille.
Sur ce point, l'œuvre du Sénatus-Consulte tant contestée vers
1870, apparaît à distance comme salutaire et bienfaisante.
LE NOMADISME
ET L'APPROPRIATION FONCIÈRE
On a longtemps cru que tous les Berbères étaient sédentaires
et tous les Arabes nomades. En réalité, le nomadisme comme le
sédentarisme sont conditionnés par la topographie et le climat.
Nos diverses lois foncières, la présence de colons européens dans
les douars, ont donné à l'indigène le sens de la valeur terrienne
qu'il n'avait guère avant 1830, alors qu'il demandait à de rares
cultures et surtout à la vie pastorale la satisfaction de ses
besoins. La procédure des
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