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   enquêtes partielles, notamment, a fini par créer une sorte de petite bourgeoisie rurale, fixée sur un domaine de moyenne importance. La grosse propriété indigène, qui paraît avoir existé sous le régime turc et qui groupait entre les mains d'un seul tenancier des superficies considérables, a fait place à des exploitations moins vastes dont le détenteur nous doit les titres et les garanties.
 
Il y a dans ce paysannat naissant un élément de pondération, de sécurité, de richesse aussi qu'il faut bien mettre en lumière. Beaucoup s'adonnent aujourd'hui à l'arboriculture, aux primeurs, aux cultures industrielles, de qui les pères vivaient de la vie nomade, sans souci ou prévision de l'avenir. Ce jardinier qui irrigue patiemment sa parcelle, ce fellah qui conduit une Brabant, descendent de cavaliers plus aptes à manier le fusil que la pioche ou la charrue. L'outil a remplacé l'arme, le gourbi la tente, la maison le gourbi (Cf. A. Bernard. Enquête sur l'habitation rurale des Indigènes de l'Algérie).
 
En somme, un phénomène très important s'est ébauché de 1840 à 1850, accéléré entre 1873 et 1900, pour se précipiter de 1900 à nos jours : c'est la transformation de l'ancienne société algérienne, autrefois de type patriarcal et pastoral, en une forme plus compliquée, mieux préparée aux multiples exigences de la vie contemporaine. L'ancien nomade s'est fixé au sol, partout où l'appropriation immobilière a été possible. La transhumance est aujourd'hui limitée à l'aire géographique imposée par la topographie du pays : les steppes des Hauts-Plateaux et du Sahara.

LE PROLÉTARIAT

On connaît le contrat de khamessat qui attribue au pro­priétaire du sol les 4/5 de la récolte et au khammès (sorte de métayer rural) le 1/5. Dans l'arrondissement d'Orléansville, la part des khammès était des 3/11 et de 1/4 dans les régions de Tiaret et de Frenda. Le sort du khammès était lamen­table : une étroite servitude le rivait à la glèbe. Il végétait dans un demi-sommeil, taillable et corvéable à merci comme le serf de notre moyen-âge, durement exploité par le propriétaire du fonds.
Aujourd'hui sous l'empire des circonstances, de la rareté croissante de la main-d'œuvre et de notre action civilisatrice, le contrat de khamessat subit une profonde évolution. La part du khammès va en augmentant et sur certains points,

       elle devient proportionnelle à l'importance du travail fourni. C'est ainsi que dans tous les contrats concernant l'arbori­culture, le tabac, les plantes industrielles, ce qui revient au khammès atteint des proportions inconnues jusqu'à ce jour. M. Démontés qui a soigneusement étudié la question, écrit que le khammès obtient en Kabylie les 2/3, dans la Mitidja, les 3/5, les 4/5 enfin dans les régions montagneuses de Miliana. « Le contrat de khamessat se déforme et se rapproche de notre métayage ». (Demontès, l'Algérie Économique, tome III, p. 418). Il évolue aussi vers le louage de service et ouvre au khammès les plus larges possibilités de progrès.
 
Il n'existait pas, avant 1830, de main-d'œuvre rurale spécialisée. Les moissons étaient faites, soit par des saisonniers kabyles, soit par des marocains qui ne restaient pas dans le pays. Il s'est aujourd'hui créé, même dans les régions de formation arabe, une main-d'œuvre qui constitue déjà un groupe nouveau. L'administration a entrepris de la renforcer et de l'éduquer par la création de centres d'éducation professionnelle à l'usage des indigènes. Un chapitre spécial y est consacré dans cette brochure.

Le but et le cadre de ce travail sont trop limités pour qu'il nous soit possible d'analyser toutes les catégories nouvelles apparues depuis 1830.
 
Il faudrait, notamment, peindre l'ancienne organisation commerciale, rudimentaire, limitée au double courant des caravanes portant au Sud les céréales du Nord et au Nord les laines et les dattes des Hauts-Plateaux; - le marasme économique d'avant 1830, en s'inspirant des données fournies par Mas-Latrie (Relations et commerce de l'Afrique septentrionale avec les nations chrétiennes), par les mémoires et rapports consulaires, par ces statistiques de la série des « Établissements français » qui indiquent, en 1854 encore, la faiblesse de rendement et de superficie des cultures indigènes; - et cela, pour mettre en regard les chiffres, si éloquents dans leur sécheresse précise, des résultats que les Indigènes obtiennent en 1930.
 
Il faudrait, en outre, citer les lettres des officiers de la Conquête, pleines de détails sur l'ignorance et les superstitions des autochtones, et lire ensuite cette phrase récente d'une revue indigène, dont le positivisme résolu n'a sans doute qu'une valeur d'exception, mais qui n'en reste pas

 
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