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la forte expression de M. Augustin Bernard, liquidaient leurs
créances à coups de fusil » (L'Algérie, 389). D'autre
part, la féodalité musulmane n'était pas seulement un
anachronisme désuet dans un pays que nous allions ouvrir au
progrès; elle entravait et ligotait de ses lourdes chaînes, de ses
usages hiératiques, de ses servitudes seigneuriales la
société arabo-berbère que nous voulions éveiller.
Deux mesures ont progressivement réduit son rôle et ses
attributions.
1° Le Sénatus-consulte de 1863 qui a disloqué l'ancienne
tribu algérienne et l'a fractionnée en douarscommunes dont
chacun a son caïd. Le chef qui commandait une tribu de père en
fils, qui en fut un moment la plus haute expression et comme le
couronnement, s'est vu substituer plusieurs caïds qui
n'appartenaient pas toujours à sa famille et qui ont peu à peu
ruiné son autorité traditionnelle.
2° La démocratisation des fonctions de caïd :
de plus en plus, les anciens militaires, les notables sans origine
nobiliaire, les indigènes qui ont rendu des services signalés, ont
été admis à diriger les douars. La fonction de caïd de
traditionnelle est devenue professionnelle; de familiale,
individuelle; d'héréditaire, personnelle; elle a évolué de
l'apanage à l'emploi; du privilège du sang au mérite : elle s'est
largement démocratisée.
Il faudrait enfin signaler l'inexpérience et la prodigalité
financières de certains grands chefs qui, de 1830 à 1880, ont
dissipé leur patrimoine, sans pouvoir s'adapter au milieu algérien
issu des temps nouveaux. L'ancienne aristocratie est, sauf quelques
honorables et brillantes exceptions, descendue, en moins d'un
siècle, à un niveau social très moyen, quand elle n'a pas
complètement déchu.
CONSTITUTION
D'UNE BOURGEOISIE CITADINE
L'historien de l'Afrique du Nord constate que les villes ont
joué un rôle peu important dans l'histoire politique et sociale
algérienne. Comme l'a dit Trumelet, « la force vitale du pays est
diffuse dans la campagne » (Trumelet, Yusuf, tome Ier, 319).
M. Augustin Bernard écrit également :
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« La vie urbaine n'a jamais été très développée chez les
indigènes de l'Algérie » (A. Bernard, L'Algérie, 330).
Tous les auteurs sont d'accord sur ce point.
Cet isolement politique des cités de l'ancienne Algérie se déduit
de causes économiques et démographiques. Il tient surtout à ce
fait que les villes n'ont jamais été que des garnisons de
conquérants, lesquels, les Turcs notamment, ont peu pénétré dans
l'intérieur et ne se sont pas mêlés à la masse profonde des
ruraux.
Quoi qu'il en soit, il est certain qu'il existait en Algérie avant
1830, dans les principales villes, une classe instable, mouvante,
qui n'était pas encore une bourgeoisie, au sens sociologique de ce
mot, et qui se modifiait fréquemment par l'ascension de nouveaux
éléments montant des basfonds. Elle était composée :
A Alger, par la famille des Raïs, des artisans enrichis, des
rénégats, des descendants des Musulmans andalous qui avaient
immigré à diverses reprises : couche peu profonde, toujours
agitée et remuante, tirant ses ressources d'un négoce limité et
surtout des produits de la Course;
A Oran, Blida, Constantine et Tlemcen, par des Maures et des
Kouloughlis s'adonnant au commerce.
Ces groupes ont assez vite disparu : à Alger, par exemple, où,
depuis une quarantaine d'années, ils ont fait place à des familles
d'origine kabyle qui se sont installées dans la capitale après
fortune faite. Le Maure ou le Kouloughli qui, derrière son
comptoir, au fond de sa petite boutique, attendait paisiblement le
client au lieu de le rechercher, qui dédaignait la nouveauté, la
présentation de l'étalage, le sens moderne des affaires, a été
éliminé par le Kabyle et le Mzabite venus de l'intérieur,
adaptés à la vente rapide, à l'usage intelligent du crédit. Nos
banques escomptent le papier kabyle ou mzabite, généralement
solide et revêtu des meilleures garanties.
En somme, le remplacement de la pseudo-bourgeoisie citadine de 1830
revêt trois modalités bien distinctes: l'une d'ordre ethnique,
puisqu'il s'agit d'un apport de Kabyles s'installant à la place des
Maures et des Kouloughlis ; l'autre sociale, puisqu'elle
résulte d'un afflux vers les villes de « gens du dehors », de
ruraux tentés par le commerce et y excellant ; la troisième
enfin, intellectuelle, puisqu'elle est le fait de sujets
préparés à la vie moderne, rompus à nos méthodes, formés dans
nos écoles primaires, nos écoles de commerce, dans nos collèges
et lycées, dont ils ont remarquablement assimilé l'enseignement.
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