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Mesure prévoyante qui défend les uns et les autres contre les
conséquences d'un agiotage plein de périls, où les
préoccupations agricoles tiennent bien peu de place. « On se
couchait vagabond, on se réveillait propriétaire », dit Camille
Rousset, dans ses « Débuts d'une Conquête ». Mais quelle
précarité dans l'acquisition d'une parcelle dont, quand elle
n'existait pas exclusivement dans l'imagination du vendeur, le titre
arabe, qui la constatait, pouvait se traduire ainsi : « Le fils »
..... a vendu à X. . . la parcelle appelée « terre » située
dans « le district » ! Et que de complications lorsque, par
hasard, le contrat trouvait son application sur le terrain: c'était
un habous qui frappait la terre d'inaliénabilité, un parent ou un
voisin qui entendait vous mettre dehors au nom de son droit de
chefâa - un créancier rahniataire qui vous opposait une
antichrèse, qu'à défaut de titre, corroboraient des témoignages
suspects.
Une telle situation qui risquait de tuer dans l'œuf toute tentative
de colonisation sérieuse ne pouvait laisser les pouvoirs publics
indifférents. Une série de décisions (1832, 1837) entendirent
parer au danger qu'elle faisait courir. Mais, soit qu'elles fussent
d'un caractère trop local ou trop tardif, soit encore qu'elles ne
fussent pas observées, ce fut bientôt un inextricable chaos. Si le
gouvernement ne voulait pas définitivement renoncer à la
colonisation libre, il devait nécessairement intervenir. Ce fut
l'objet des ordonnances du 1er octobre 1844 et du 26 juillet 1846
dont la substance s'analyse ainsi: Toutes les transmissions
immobilières d'indigène à Européen sont garanties par
l'interdiction de les arguer de nullité à raison de
l'insuffisance des pouvoirs du vendeur: voilà pour le passé et
le présent. Pour l'avenir: aucun motif d'inaliénabilité, tiré de
k loi musulmane, ne peut être opposé à l'européen, détenteur
d'un acte translatif de propriété.
Les Européens n'étaient d'ailleurs pas les seuls à souffrir de
cet état de choses. Lorsque le cadi, dont la compétence en
matière immobilière avait été maintenue entre indigènes, était
saisi d'une demande en annulation de contrat basée sur l'existence
d'un habous privé, la loi coranique l'obligeait à décider que le
vendeur était simplement tenu au remboursement du prix d'achat.
C'était, pour l'acquéreur, la perte de ses frais de mise en valeur
et des fruits qu'il avait récoltés dans l'intervalle.
Pour empêcher le retour de tels abus, les ulémas eux-mêmes
demandèrent l'extension aux indigènes des dispositions |
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votées en faveur des Européens. Un décret du 30 octobre 1858,
corollaire logique de la mesure qui faisait entrer dans le domaine
de l'État, non sans contre partie, les habous publics, réalisa
leurs vœux.
Il ne suffisait pas, toutefois, par les interdictions qui
précédent, de donner aux acquéreurs de terres musulmanes la
sécurité qui leur faisait défaut; car, à côté des terres qui
existaient - c'était le cas dans la banlieue des villes où les
immeubles étaient individualisés par la culture et des limites
séparatives -- il y avait celles qui n'existaient que dans
l'imagination du vendeur - ou n'existaient qu'en partie ou avaient
été vendues plusieurs fois. Pour mettre un terme à cette
situation, toutes les terres achetées depuis 1830 furent
décrétées domaniales, les acheteurs devant recevoir de l'État
une compensation en rapport avec la valeur de l'immeuble qu'ils
avaient acquis. Diverses modalités étaient prévues qui
permettaient de tenir compte à ceux-ci des travaux exécutés, soit
en obéissant à leur propre inspiration, soit dans le cadre des
conditions imposées par le législateur (droit de préférence,
droit à une nouvelle concession...).
Parallèlement, l'État faisait ouvrir des routes, exécuter des
travaux publics urgents, en sorte que si la spéculation se trouva
déroutée, par les effets de la nouvelle législation, la
colonisation sérieuse en tira un profit certain. Mais le
Gouvernement ne s'en tint pas là; il considérait la colonisation
privée comme impuissante à remplir, seule, la mission dont la
France s'était chargée dans ce pays. Il fallait donc se procurer
des terres pour réaliser cette oeuvre sur une base élargie. Le
principe des mesures prises à l'égard des européens fut étendu
aux indigènes.
Les possesseurs du sol furent invités à justifier de leurs titres:
une reconnaissance sur le terrain était faite de leurs droits, qui
devaient être précis et remonter avant le 5 juillet 1830. Les
biens sur lesquels personne ne pouvait faire valoir de droits
étaient réputés vacants et, comme tels, incorporés au domaine de
l'État. Les propriétaires réguliers recevaient un titre, les
autres avaient droit à une compensation dans les conditions
appliquées aux Européens, comme on l'a vu plus haut. Pour activer
ce travail de reconnaissance générale, au-dessus des possibilités
de l'autorité judiciaire, c'est l'autorité administrative que le
législateur chargea de ce soin : réforme caractéristique qui a
survécu jusqu'à nos jours à l'ordonnance qui la réalisait. On a
adressé à cette
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