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   législation deux principaux reproches: celui de n'avoir pas tenu un compte suffisant de l'organisation foncière musul­mane qui ignore pratiquement le titre écrit et celui de n'avoir pris aucune précaution pour assurer au titre administratif sa valeur d'avenir.
 
Ces reproches ne sont pas tout à fait infondés; mais il eût été contraire aux traditions de justice et d'humanité de la France de vouloir ignorer le premier, et contraire à sa conception du progrès, de ne pas chercher un remède à la situation que dénonçait le second. Aux familles privées de leurs moyens d'existence, le Gouvernement distribua des terres; - à la compétence exclusive des cadis, lorsqu'il s'agissait de litiges entre musulmans portant sur des terres « vérifiées », se substitua celle du juge français. Mais il fallut attendre jusqu'en 1873 pour que se réalisât cette dernière réforme, devant laquelle on hésitait, non sans quelque raison, car le principe n'a pas été sans subir, depuis, quelques atteintes.
 
L'inquiétude née des opérations de vérification, qui n'eurent d'ailleurs qu'une courte durée et qu'un champ d'application restreint (banlieues d'Alger, Blida, Oran et Bône), ne devait pas durer. Le I6 juin 1851, on mettait fin à leur application, pour proclamer l'inviolabilité de la pro­priété, tant européenne qu'indigène, soustraire les terres incultes à l'impôt et à la menace de l'expropriation, confirmer l'interdiction musulmane d'aliéner les terres des tribus à l'étranger, et consacrer les droits de jouissance de ces collectivités,. sans en définir d'ailleurs le caractère juridique.
 
Le Gouvernement sentit qu'il avait été un peu trop loin dans la voie des abandons. Il n'était pas douteux que les territoires dont disposaient les tribus n'excédassent leurs besoins. Il y avait place pour un compromis. On le réalisa sous la forme de la mise en application d'un système familier à nos populations forestières: au lieu d'un droit de jouissance mal défini, l'État, propriétaire éminent du sol des tribus, reconnaîtrait à ces collectivités la pleine propriété de leurs terres, moyennant quoi, il recevrait en échange une partie - le 1/5 environ - du territoire reconnu. Cette politique, mise en application de I857 à 1863, porta sur 16 tribus peuplées de 56.489 habitants et couvrant un territoire de 343.657 hectares. Elle procura 61.653 hectares au domaine, dont une partie, d'ailleurs, rentra à nouveau dans le patrimoine de la tribu, à la suite
       des acquisitions directes ou indirectes effectuées par les anciens détenteurs du sol. Au moment où le Gouvernement se proposait d'étendre l'application de ce système, une violente réaction se produisit. Napoléon III rentrait d'un voyage en Algérie: il avait constaté que les réserves domaniales de terres cultivables comprenaient près de 900.000 hectares et que la population européenne ne dépassait pas 200.000 âmes. C'était plus qu'il n'en fallait pour assurer la réalisation de la politique impériale qui assignait à l'européen un rôle purement industriel, l'agriculture et l'élevage devant demeurer le monopole de l'indigène que l'on initierait progressivement aux bienfaits de la propriété individuelle. Les idées de l'Empereur trouvèrent leur expression dans le Sénatus-Consulte du 22 avril 1863 qui faisait, des tribus, les propriétaires incommutables des territoires dont elles avaient la jouissance permanente et traditionnelle, sous la réserve des droits de l'État et des particuliers.
 
La répartition des tribus en douars, prescrite par ce texte, devait permettre, dans un avenir plus ou moins lointain, l'avènement du régime communal dans ces collectivités et, à la faveur d'une dernière opération; l'accession des individus à la propriété individuelle partout « serait possible et opportun », c'est-à-dire là où la masse aurait suffisamment évolué pour apprécier les « bienfaits de la vie actuelle ». 643 tribus furent désignées pour être soumises aux opérations prescrites - sauf la dernière. La guerre de 1870 ne permit de les achever que dans 374, formant une superficie totale de 6.833.751 hectares, se répartissant ainsi: 1.523.013 hectares attribués aux 656 douars-communes constitués, au titre de terres de culture à répartir ultérieurement entre leurs habitants; 1.336.492 maintenus comme commune-pâture; 180.643 classés comme domaine public; 2840.531 reconnus de propriété privée (melk) et 1.003.072 hectares attribués au domaine.
 
La guerre de 1870 survint, qui laissa à la IIIe République le soin de constituer la propriété privée dans les terres collectives du douar - but suprême de la loi.
Le Sénatus-Consulte de 1863 ne fut pas seulement une mesure de protestation contre l'œuvre de cantonnement, inspirée du désir d'effacer le souvenir d'une mesure considérée à tort comme attentatoire aux droits des tribus. Il fut un acte de haute libéralité, dans ses effets, et d'abandon, dans ses principes, car, à la théorie qui avait prévalu jusque
 
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