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   bleds et habous, fondations pieuses et des corporations religieuses, biens de main-morte dont le dévolutaire final étaient la Mecque et Médine ou encore les mosquées - signalons aussi, pour ne rien omettre, les terres mortes non vivifiées, les bois et forêts, les mines et les carrières qui accroissaient la dotation du beylik, les terres du Sahara où tous les systèmes fonciers étaient, comme aujourd'hui et pour des raisons permanentes, fonction du régime des eaux. Et pour ajouter au péril des transmissions, une totale imprécision dans la consistance des biens de chacun, une indivision poussée à l'extrême, la Kabylie exceptée, - une absence complète de publicité des contrats rendant impossible pour l'européen, comme pour l'indigène, toute transaction honnête avec les détenteurs du sol.
On ne s'étonnera pas, dans ces conditions, de lire, tracées par un écrivain qualifié (1), les lignes suivantes pour dépeindre l'Algérie de 1830:

« Une agriculture insignifiante (les populations rurales en vivaient pourtant, mais d'une façon misérable), une industrie nulle, un commerce dont les importations étaient le quintuple des exportations, telles étaient en raccourci les composantes économiques du pays avant notre arrivée L'existence matérielle y languissait précaire et difficile, péniblement assurée par les bénéfices de la course, par la rançon des esclaves et par l'argent prélevé sur les navires arraisonnés. »

Et cela dans un pays fait, d'après Leroy-Beaulieu, pour nourrir 12 millions d'habitants.

Nous nous trouvions ainsi en présence d'une situation sans rapprochement possible avec celle de la Métropole. La coexistence sur un même sol de deux populations si différentes, l'incertitude du régime foncier dont il vient d'être parlé, l'ignorance où nous étions, d'ailleurs, par suite de la disparition des archives du gouvernement turc, de tout ce qui touchait à l'organisation du pays, l'avidité de spéculation qui se manifestait de part et d"autre, autant de causes qui devaient nous imposer un très long effort pour débrouiller ce « chaos », et nous laissèrent tout d'abord quelque peu hésitants et dépaysés.

(1) A. Augustin Thierry: Revue des Deux-Mondes, 1er janvier 1930.

       Dès le début, la Convention du 5 juillet 1830, qui réglait la capitulation d'Alger, posait un principe d'inviolabilité dont on peut dire qu'à aucun moment, il n'a été vraiment perdu de vue et auquel on est toujours revenu, toutes les fois que, sous l'influence de nécessités politiques ou de théories juridiques séduisantes, on a pu être tenté de s'en écarter. « La liberté des habitants de toutes les classes, disait ce texte, leur religion, leurs propriétés, leur commerce et leur industrie, ne recevront aucune atteinte». Loin d'adopter, en effet, comme certains peuples européens, une politique coloniale de refoulement ou d'évincement systématique, la France tout en ayant le légitime désir de ne pas laisser se dissiper le patrimoine beylikal dont elle recueillait l'héritage - encore qu'elle serait en droit de tirer quelque orgueil des libéralités et des abandons qu'elle a consentis dans la suite à cet égard - entendait pour le surplus, ne prélever, du territoire, que les parties incultes et vacantes sur lesquelles aucun droit de propriété ou de possession ne pouvait être valablement établi.
 
La politique de la France, faite, dés le début, du désir de se concilier l'indigène et de le réconcilier avec le régime nouveau, a constamment tendu à établir, dans le cadre de l'intérêt national, un compromis antre les besoins du peuple libéré et les exigences de la colonisation, en maintenant entre ces deux intérêts, d'abord contradictoires, un juste équilibre. Les mesures qui en ont été l'expression ont eu, à toute époque, pour but de protéger l'élément colonisateur et l'élément colonisé contre les dangers auxquels ils ont été tour à tour exposés, les uns en achetant, les autres en vendant inconsidérément; - de les défendre tous deux contre les conséquences des principes du droit musulman, aussi bien que du droit civil, toutes les fois que l'expé­rience en révélait l'application fâcheuse; - d'interdire les occasions de contact, quand il pouvait en résulter une étincelle dangereuse pour la sécurité des uns et des autres; - de garantir les uns contre les effets d'une insou­ciance atavique, tout en permettant à l'activité et à l'esprit d'entreprise des autres de s'épanouir pour le plus grand bien de tous.
 
Tous les textes législatifs ou autres qui se sont succédé depuis 1830 jusqu'à nos jours, portent l'empreinte de ces multiples préoccupations.
 
Aujourd'hui, dans presque toutes les jeunes colonies, l'acquisition des terres par les non indigènes, est - du moins au début de la Conquête - interdite à ces derniers, ou tout au moins subordonnée à une autorisation administrative.
 
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