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   différemment quand il s'agit d'un pays qui abrite une population d'une certaine densité et qui a subi l'empreinte de plusieurs dominations.
 
Dans ce cas, dès qu'il entend réaliser sa haute mission civilisatrice, faite du désir d'élever à son niveau économique et social les populations auxquelles il va se mêler, et de l'impatience de développer, dans sa nouvelle colonie, plus de travail et plus de richesse, la nation tutrice se heurte à des droits,; à des coutumes, à des besoins, à un état social auxquels on ne doit toucher qu'avec une extrême prudence et un grand esprit de justice.
 
En particulier, en Algérie, chez l'indigène, les rapports de l'homme et de la terre ont un caractère spécial; le Coran les a marqués de sa forte empreinte : première difficulté pour le législateur qui rêve de façonner un statut à l'image de celui dont il s'est fait un idéal; l'indigène est nombreux; il veut vivre et non seulement la France le veut aussi, mais elle entend qu'il s'accroisse en nombre et en prospérité : il ne s'agit donc pas de légiférer, pour le présent, mais surtout pour l'avenir: Il faut au nomade de l'espace pour mener sa vie biblique de pasteur à laquelle le besoin, autant que la tradition, l'oblige, sur une notable partie du territoire : 
ce serait pour le législateur une faute de l'oublier quand il édifie un statut où il se propose de satisfaire les légitimes exigences d'ordre national.
 
A quels systèmes donner la préférence pour asseoir la propriété sur ses bases les plus solides, pour assurer. sa transmission dans des conditions d'absolue sécurité, pour mobiliser, en un mot, le sol, sous des modalités qui tiennent un juste compte du désir de l'immigrant ou du colon, impatient de dépenser son énergie et de montrer ce que peut faire le paysan français d'un sol souvent ingrat ? Comment éviter de tomber dans l'excès d'une mobilisation foncière trop facile, source de périls pour l'indigène imprévoyant ou inexpérimenté ? Comment s'accommoder de principes auxquels on ne veut toucher qu'avec discrétion, parce que d'essence religieuse ? Comment faire, en un mot, de la terre, un instrument de production, de crédit, un facteur d'évolution économique et sociale en même temps qu'un gage de sécurité politique ? Comment en régler la distribution grâce aux principes mis en jeu par la loi, entre l'élément autochtone et l'élément national, de façon à établir un équilibre rassurant pour la souveraineté française, comme pour la prospérité présente et future de l'indigène ?
       C'est à la solution de ce passionnant problème que se sont attachés les législateurs du passé et que s'attacheront encore ceux de demain, car dans une matière où tant d'intérêts divers se coudoient ou se heurtent, nul ne peut prétendre détenir la formule devant laquelle chacun est prêt à s'incliner.
 
Comme on l'a dit plus haut, la voie qui se déroule devant nous depuis les temps héroïques où Bourmont proclamait, en prenant possession d'Alger, l'inviolabilité des gens et des biens, jusqu'à 1526, date de la dernière loi foncière. est jonchée des débris des monuments législatifs qui tendaient, pour la plupart, à faire. oeuvre définitive. Quelques beaux morceaux d'architecture subsistent encore qui dureront, parce qu'ils furent fondés sur des vérités éternelles. Mais d'autres ont définitivement disparu; aussi bien, comme on l'a déjà dit, la tâche n'est-elle pas aisée pour les constructeurs.
 
Lors de notre intervention en Algérie l'organisation foncière comprenait une grande diversité de tenures sur certaines desquelles nous mîmes de longues années à être fixés. A côté des terres melk, possédées en pleine propriété, d'une façon passionnément individuelle en Kabylie, dans une extrême indivision en pays arabe, dotées - quand elles l'étaient - de titres imprécis n'offrant qu'une sécurité bien relative à leur possesseur, on découvrait des terres de tribu, dont le mode d'occupation ne rappelait aucun de ceux qui nous sont familiers. Régie par la coutume, qui excluait les femmes de l'usufruit du sol, la terre de tribu dénommée arch, sabega et plus tard collective, échappait à tout contrat impliquant pour son détenteur la qualité de pro­priétaire. Tant qu'il la vivifiait, l'occupant, soumis à l'impôt spécial du hockor, en conservait la jouissance qu'il transmettait à sa mort à ses seuls héritiers mâles : toutes particularités qui n'étaient pas faites pour simplifier notre tâche législative. D'autre part, on distinguait encore les territoires beyliks : les uns, constitués par des terres que le gouvernement turc avait enlevées aux indigènes pour y constituer des colonies militaires sur lesquelles s'appuyait la domination du Dey (terres maghzen); les autres, par des terres confisquées sur les tribus révoltées, ou par dés prélèvements sur des tribus arch occupées par des douars entiers installés là comme fermiers, acquittant un loyer - le hockor comme en arch, - et expulsables ad nutum (terres azel, tenure particulièrement répandue dans l'Est de la Colonie). Enfin, pour compliquer encore la situation, les
 
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