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ŒUVRES DE PRÉVOYANCE ET D'ASSISTANCE SOCIALES
(1)
L'État, dans notre conception moderne, n'est pas seulement le
grand organisateur de l'ordre public, le volant régulateur de
l'économie nationale, l'instrument d'équilibre des intérêts
privés et de l'intérêt général. Depuis l'Encyclopédie et les
Philosophes humanitaires du XVIIIème siècle, nous lui conférons
un rôle d'assistance et de prévoyance sociales de plus en plus
vaste, qui coordonne, en les harmonisant et en les amplifiant, les
efforts de l'initiative privée.
Rien de tel dans les pays de formation musulmane. La notion de l'État,
chez le mahométan, n'est pas extensive; elle manque de plasticité;
elle est rigide, immuable, limitée à certains pouvoirs primitifs.
Elle est encore empreinte d'une mystique médiévale qui fond en un
tout indissoluble les devoirs laïques du Gouvernement et ses
attributions d'ordre religieux.
Si l'étatisme islamique est, en doctrine tout au moins, éloigné
d'une organisation collective de l'assistance, que dire de
l'Algérie de 1830, où l'action du Dey se bornait, avec quelques
prérogatives politiques, à assurer la perception de l'impôt, et
où la cellule administrative qui était alors la tribu, résumait,
comme l'a écrit Renan, « toute l'institution sociale du temps ».
Institution qui n'avait, d'ailleurs, rien de « social », au sens
philanthropique que nous avons ajouté à ce mot, institution qui
pressurait durement la masse asservie et, ainsi que l'a encore dit
Renan, « liait le sort de l'individu à l'ensemble
(1) L'assistance médicale et hospitalière fait
l'objet d'une brochure spéciale, publiée à part par le service de
l'Assistance et intitulée: « L'assistance médicale des indigènes
de l'Algérie. Un siècle d'efforts ».
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dont il faisait partie. » Sans doute, les habous avaient-ils, à
l'origine, apporté quelque tempérament à cette rude organisation;
ils étaient dans la pensée du fondateur le large geste de charité
qui ouvre aux déshérités l'usufruit d'un domaine. Mais peu à
peu, le principe s'en était obscurci et corrompu. L'intérêt
individuel l'avait, une fois de plus, emporté sur l'idée, et le
habous était devenu à la longue un moyen légal d'exhéréder les
femmes et de parer aux confiscations du Beylick.
La France n'avait donc pas seulement, en 1830, une oeuvre de
pacification et d'éducation à entreprendre en Algérie. Elle
devait apporter et réaliser un programme complet d'assistance et de
prévoyance. Mission qu'elle a toujours remplie avec ferveur et dont
elle a eu la vocation impérieuse dès les premières lueurs de son
génie.
Trois facteurs importants rendent encore plus indispensable en
Algérie le fonctionnement de la prévoyance sociale :
le milieu géographique;
le milieu social;
le milieu psychologique.
Le milieu géographique : Un régime des eaux capricieux et
irrégulier, une pluviométrie instable (la moyenne annuelle oscille
pour le Tell entre 500 et 800 millimètres et pour les Hauts
Plateaux de 300 à 500), des terres dont la valeur est, d'une
région à l'autre et dans une même région, si variable, qu'on
pourrait répéter ici le mot du géographe à propos de l'orogénie
algérienne : « un véritable manteau d'Arlequin » ; - en
résumé, un ensemble de conditions qui enlèvent à la production
agricole indigène toute garantie d'homogénéité et de paisible
régularité.
Le milieu social : Des tribus déchirées par la guerre et
les rivalités intérieures et qui n'arrivaient même pas à assurer
la sécurité de leurs enfants.
Le milieu psychologique : Une imprévoyance native,
légendaire, presque incorrigible. Tient-elle, comme on pourrait le
croire, au fatalisme islamique? Fatalisme qui n est pas le « fatum
» antique, lequel laissait aux Grecs le moyen et le goût de
prévoir, mais un lourd fatalisme d'Orient, écrasant la destinée
humaine et rendant inutile,
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