|
faudra l'arrivée des Français pour lui apporter un levain de
transformation.
L'industrie et la technique professionnelle sont à peu près nulles
et n'existent que dans quelques grandes villes comme Alger,
Constantine, Oran, Tlemcen et Blida. Encore faut-il rappeler, à
propos des cités du Maghreb, l'opinion de M. Ladreit de
Lacharrière sur les anciennes villes du Maroc :
" Toutes les villes, à l'abri de
leur muraille, vivaient d'une vie particulariste, sans rayonnement
sur les régions environnantes avec lesquelles elles n'avaient que
des relations d'hostilité latente, celles de marchands à clients,
ou brutales, quand l'instinct pillard des tribus se précipitait à
l'assaut de leurs richesses. " (La Création Marocaine.)
L'industrie citadine revêtait, d'ailleurs, la forme d'organismes
embryonnaires que l'analyste doit situer à un humble rayon des
valeurs économiques. Quelques fabriques d'armes, de coffres peints,
de tapis, de bijoux : à cette sèche énumération, se borne toute
l'activité industrielle de l'Algérie avant 1830. La plupart des
objets manufacturés provenaient de l'importation ou de la Course.
Le témoignage irréfutable des auteurs qui, du XVIème siècle à
1830, ont étudié la Régence, suffit à le démontrer.
Haëdo relate que des bâtiments anglais, à son époque, portaient
à Alger, parmi de nombreuses marchandises, des draps de toutes
sortes; les bateaux espagnols des tissus, des " haïcks teints
en rouge " ; les voiliers italiens " de la soie filée de
toutes couleurs, des étoffes de Damas, du satin et du velours
". (Topographie, 54). Haëdo indique ailleurs qu'il "
entre continuellement dans le port d'Alger des navires chargés de
marchandises venant de tous les points " (ibid, 462).
Dans les commentaires qu'il a ajoutés au livre de Shaw, Mac-Carthy
signale qu'au temps de cet auteur, il y avait déjà à Alger de
nombreux magasins réservés " aux marchands turcs du Levant et
autres qui arrivent à Alger et avec des marchandises ". (Shaw
op. cit. 295). Shaw décrit le procédé sommaire employé par les
menuisiers locaux :
" Au lieu de colle ordinaire, les menuisiers d'Alger se servent
souvent d'une composition faite avec du fromage qu'ils pilent,
d'abord, dans un mortier avec un peu d'eau, jusqu'à ce qu'ils en
aient fait sortir tout le petit lait, puis une seconde fois, en y
mêlant un peu de chaux fine; après quoi, ils appliquent ce
mélange, avec le plus de promptitude possible, aux planches qu'ils
veulent joindre ensemble. On m'a assuré que cette espèce de colle
est si |
|
|
|
tenace, que, quand une fois elle est sèche, l'eau ne peut plus la
détremper ". (Shaw, op. cit. 105).
Venture de Paradis, au XVIIIème siècle, note des importations
" de toiles grossières, façon de la moghrebine d'Égypte
" (Venture, op. cit. 279). Le même auteur signale l'arrivée,
de Marseille, de draps fins de Sedan, de riches étoffes de Lyon, de
mouchoirs de soie de Catalogne, de Livourne, des mousselines des
Indes, Damas, rubans, velours de Gênes (Op. cit. 292).
Au seuil du XIXème siècle, suivant Shaler : " le prix des
objets importés du Levant à Alger s'élève chaque année à
environ 80.000 dollars. En 1822, sous la seule rubrique soie brute
et manufacturée ", l'importation est de 100.000 dollars (Shaler,
Op. cit. 92, I04).
D'après le capitaine Rozet, en 1830 " les Anglais envoyaient
à Alger des toiles, mousselines, calicots; mais le plus grand
commerce de la Régence pour les tissus se faisait avec l'Italie
". (Rozet, III, 110). L'ébénisterie ne devait pas, à cette
époque, être très florissante, puisque, si l'on en croit Rozet,
l'ameublement des maisons bourgeoises d'Alger en 1830 " se
composait d'un ou de deux coffres au plus, en bois assez bien
travaillé, et ornés de peintures extrêmement bizarres: chez les
grands, ces coffres sont richement dorés et les peintures souvent
très soignées ". Il mentionne aussi des lits placés sur des
estrades (III, 21).
Ces diverses références, puisées dans les auteurs qui, avant ou
en 1830, ont le mieux connu la vie algérienne, n'indiquent-elles
pas-que l'industrie locale était à peu près inexistante ?
Comment, en effet, expliquer ces continuelles importations
d'étoffes dans un pays que, comme la Régence, on veut donner pour
un gros producteur de tissages ?
Au surplus, l'industrie algérienne était restée à un stade
d'évolution assez arriéré. Elle était encore un de ces
organismes primitifs, où les fonctions sont à peine
différenciées et qui vivent d'une vie languissante, ralentie, au
rythme atténué.
Essayons toutefois d'en dégager les marques essentielles.
a) Pas d'industries intermédiaires, préparant la matière
première, en vue de la transformation manufacturière.
b) Pas de renouvellement technique, l'artisan indigène,
comme nous l'avons déjà expliqué, ne faisant qu'imiter ou copier,
sans vouloir une méthode ou des modèles nouveaux.
c) Pas de division du travail : l'industrie citadine de
l'époque n'a pas connu la spécialisation individuelle, ce que,
dans un puissant raccourci, Proudhon a appelé " le travail
sérié et engrené ".
|
|