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   d) Extranéité de la main-d'œuvre. La plupart des artisans étaient d'origine étrangère. De nombreux courants d'émigration avaient abouti aux grandes villes du Maghreb. En 1248, après la prise de Séville, 300.000 musulmans s'étaient réfugiés en Afrique du Nord; nouvel exode en I492, après la chute de Grenade. Sous Philippe II, en 1566, et sous Philippe III, en 1609, 1.500.000 musulmans quittèrent également l'Espagne (A. Bernard, l'Algérie, 362), Haëdo parle des Maures espagnols qui arrivaient continuellement par " Marseille ou autres ports de France où ils s'embarquent facilement " (op. cit. 495). Il a vu que beaucoup de métiers sont exercés par des captifs, des rénégats, des janissaires (ibid, 56). Même situation à la fin de la régence turque. " Des Maures provenant d'Espagne et des juifs pratiquaient  les vieilles industries locales; parmi les Maures, on trouvait des corroyeurs, des selliers, des armuriers et des brodeurs, les Juifs étaient plutôt dinandiers et orfèvres " (Marçais, l'Art en Algérie, 120).
 
Il résulte de ces divers textes que l'artisan indigène était surtout un étranger. L'autochtone restait sans culture professionnelle.
Les artisans citadins étaient enfin groupés en corporations, comme il en existe encore en Tunisie et au Maroc. On a voulu discerner dans ces associations la réplique de celles qui existaient en France avant I789. Aucune assimilation n'est possible. La corporation musulmane, avec l'aman qui la dirige, ne présente que quelques analogies superficielles avec le groupement artisanal dont la Révolution a précipité la chute. La corporation indigène n'est pas plus l'ancienne corporation française, que la Confrérie musulmane n'est l'association cultuelle ou diocésaine de notre histoire ecclésiastique.
 
Dans les campagnes, l'industrie familiale produisait elle-même les objets de consommation courante et ne faisait appel au commerce que pour l'acquisition de certains outils dont la confection dépassait les aptitudes du travail domestique. La vie d'ailleurs, était simple, rudimentaire, limitée à des besoins essentiels. La forte ambiance de la tribu avait façonné, dans un moule immuable, 'les habitudes et les âmes. Aucun désir de changement, aucun élan vers des goûts nouveaux, aucune propension à ces caprices de la mode qui assurent à l'industrie de rapides voies d'écoulement.
Cependant il existait, en tribu, en dehors du travail domestique, de petits artisans locaux. Ils approvisionnaient les tentes des objets, outils, qu'elles ne pouvaient ou ne savaient fabriquer.
       Les vêtements (burnous et haïks) étaient généralement confectionnés par la femme, sur un métier analogue à celui qui sert au tissage des tapis. Il y avait quelques usines à Alger, Oran, Constantine, Tlemcen, Blida. Les voiles, parures, rubans, broderies étaient vendus par des commerçants ambulants, qui les achetaient eux-mêmes dans les villes.
La sellerie comprenait deux opérations bien distinctes la fabrication des arçons et celle des harnachements. Les arçons étaient habituellement en bois de laurier-rose et couverts par une peau d'agneau teinte et tannée. Ils étaient façonnés à Tlemcen, Blida et dans les environs de Barika. Le harnachement provenait de certaines régions qui en avaient presque exclusivement le monopole: le Maroc, l'Ouest oranais et la grosse agglomération de M'Sila. Les cuirs brodés de filigrane d'or, employés pour la sellerie de luxe dont les indigènes sont si friands, étaient colportés par des ambulants israélites qui se les procuraient dans les boutiques des négociants d'Alger, de Tlemcen et de M'Sila.
 
L'armurerie était surtout aux mains des gens des villes et des Kabyles. Elle paraît avoir eu une certaine ampleur. M Vachon qui a particulièrement étudié la question, a établi que les canons de fusils étaient importés d'Europe. Les batteries restaient, depuis longtemps, la spécialité d'ElKalaa, douar des Béni-Abbés, où des ouvriers indigènes avaient été initiés par des janissaires turcs en garnison à Constantine. Les noyers du pays fournissaient abondamment le bois nécessaire aux crosses des fusils, auxquelles les orfèvres indigènes mettaient ensuite leurs motifs de décoration appliquée ou incrustée. A Ifflissen (région d'Azeffoun), il y eut, à l'origine, un centre notable de production de flissas. Cette industrie passa ensuite à Djemaâ-Saharidj et aux Béni-Yenni (Kabylie) où elle se développa et s'affina. La flissa primitive devint " le classique poignard droit, à la lame damassée, parfois enfermée dans un fourreau d'argent ou de cuir, couvert d'arabesques et de décors orientaux " (Vachon).
 
Bien que la plupart des indigènes sussent fabriquer des couteaux grossiers en martelant le fer doux, on rencontrait à peu prés partout des forgerons qui apprêtaient le fer des charrues, des haches, des faucilles, des pioches, etc... Sauf en Kabylie où ils ont toujours eu un réel prestige, les forgerons formaient une classe isolée, frappée d'une sorte de réprobation: "forgeron fils de forgeron " était une injure courante. Cet ostracisme n'est, d'ailleurs, pas spécial à l'Algérie et il a été constaté dans toutes les sociétés primitives
 
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