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   ceux qu'ils appelaient les Maures, c'est-à-dire les citadins, les bourgeois. Le costume extériorisait en ce temps-là leur originalité : c'était en somme le costume turc, celui que nos zouaves ont porté jusqu'en 1914, un costume ajusté.

Le grand nomade du Sud, homme ou femme, a une silhouette toute différente; même lorsqu'il est en loques, ce qui est habituel, il est magnifiquement vêtu de draperies flottantes, joie de l'œil. Le corps qui se devine sous ces draperies ajoute à leur effet : un corps alerte, musculeux, un corps de grand air et de vie dure.

Ce sont deux humanités que toute l'histoire a violemment opposées. Le nomade de grande tente est le grand fauve humain. A travers les millénaires, il a toujours fait le rêve, souvent réalisé, de mettre à sac les « villes puantes ». Et le citadin a toujours eu la même préoccupation: se créer une organisation qui le mette à l'abri de l'éternel, du seul ennemi, le grand nomade.

Depuis trois ou quatre siècles, pas davantage, ces deux humanités parlent la même langue, l'arabe. Mais la communauté du langage n'a pas entraîné la fraternité des sentiments communs.

Notez d'ailleurs qu'il y a une infinité dé tribus nomades. Et chacune d'elles, toutes les fois qu'elle l'a pu, s'est toujours fait les griffes sur la tribu voisine.

Ce sont là de grandes divisions, imposées par la nature, par l'interpénétration des montagnes et des plaines, de la steppe et du pays arable. A ces divisions géographiques, d'autres sont venues s'ajouter, religieuses.

Il y a en Algérie des Mzabites et des Juifs, et ce sont des groupes humains très particuliers et très importants. Ce ne sont pas des groupes territoriaux attachés à un point déterminé du sol. Ils vivent un peu partout, disséminés en noyaux mobiles. Malgré l'éparpillement chaque groupe reste profondément conscient de son individualité, ardemment patriote, cimenté par des conceptions communes de la société et de la vie, à base religieuse.

Parce que ces nations éparpillées vont au rebours de nos habitudes occidentales, nous ne comprenons rien au « miracle juif », comme disait Bossuet. Mais en Orient, ce type de nations est banal; le Levant a ses Arméniens, l'Inde a ses Parsis.

Les Mzabites sont le dernier résidu en Algérie d'une
      

grande secte musulmane bien connue, les Kharedjites, qui a fondé l'Empire Maugrebin de Tiaret au Xème siècle.

Les Kharedjites, qu'on appelle quelquefois les protestants de l'Islam, ont le plus profond mépris pour les autres musulmans. Ils ont développé surtout, comme les autres sectes persécutées, Arméniens, Parsis, Juifs, un sens aigu du commerce et de l'argent. Dans toutes les villes d'Algérie on voit le boutiquier Mzabite.

Numériquement les Mzabites seraient insignifiants, mais une tribu de manieurs d'argent a un rôle qui ne se mesure pas à son importance numérique.

Les juifs algériens ont une importance du même ordre, mais plus grande. Ils sont là à peu près ce qu'ils sont plus ou moins dans l'univers entier, un corps étranger enkysté. Nulle part ailleurs pourtant les juifs n'ont tourné le dos aussi complètement, immédiatement, aux indigènes du pays où ils sont pourtant fixés eux-mêmes depuis quinze cents ans, depuis toujours.

Voilà donc en présence d'une part le colon, fort de son importance numérique, de sa prépondérance politique et sociale, et d'autre part une société indigène extraordinairement émiettée en groupes hétérogènes, que séparent des haines millénaires. C'est une situation admirable. Les conditions matérielles semblent devoir rendre aisée et profonde l'influence du colon.

Elle a été décisive en ce qui concerne l'élément israélite. Les juifs algériens ont adopté la langue, les mœurs et la nationalité françaises. Dans les statistiques depuis le décret Crémieux (1871), ils figurent comme Français. Dans le cours ordinaire de la vie quotidienne, à des nuances près, bien entendu, ils font figure de Français. L'assimilation est aussi complète que possible.

Malheureusement les autres indigènes, à l'exception de quelques bourgeois musulmans, n'ont pas suivi du tout l'exemple juif.

En face du bloc colon, le bloc indigène musulman reste à part, clos et imperméable en gros. Il y a là deux blocs juxtaposés qui, après un siècle écoulé, ne fusionnent toujours pas.

Ce n'est pas simplement parce qu'un des deux blocs est conquérant et l'autre conquis. C'est que l'un est musulman et l'autre chrétien.

Une différence de foi religieuse est toujours grave, on

 
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