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   monte à travers l'écorce terrestre, les géologues constatent qu'il se produit, sur les parois de la cheminée, ce qu'ils appellent des «phénomènes de métamorphisme ». L'expression est commode pour désigner ce qu'on observe en Algérie. On peut y noter déjà, dans les deux sociétés, un « métamorphisme de contact ».
Les indigènes marocains y sont très sensibles : à leurs coreligionnaires d'Algérie, ils font couramment le reproche d'être « nouss-mselmin », des demi-musulmans. Certainement en Algérie, depuis 1830, l'Islam, le granitique Islam, a joué plus ou moins. L'Autrichien Oscar Lenz, voyageant au Maroc, déclare y avoir embauché, quand il l'a pu, des domestiques ou des auxiliaires algériens, de préférence aux marocains, parce que ceux-là sont plus près de l'Européen. Et Lenz faisait cette expérience curieuse, il y a déjà une quarantaine d'années.

Évidemment des taches de corrosion apparaissent sur la cloison étanche. Il ne faudrait pas s'en exagérer l'importance. Ce serait horriblement dangereux. Il n'y a rien de plus dangereux que de prendre ses désirs pour des réalités.

L'Attitude des indigènes vis-à-vis de Nous

Il est certain pourtant qu'un résultat considérable, encore que négatif, a été obtenu. La domination française en Algérie est admirablement supportée.

Pour comprendre ce fait il est bon de ne pas perdre de vue le passé tout entier de l'Afrique du Nord, du Maghreb.
L'histoire du Maghreb, considérée dans son ensemble, offre une particularité curieuse. Le Maghreb a été depuis deux mille ans dominé successivement par Carthage, Rome, Les Vandales, les Byzantins, les Arabes, les Turcs, les Français. Non seulement il ne s'est jamais appartenu, mais le conquérant étranger n'a jamais été chassé par une révolte des indigènes : il l'a toujours été par un autre étranger, son successeur.
Tout cela témoigne d'une difficulté à exister, à se tenir sur ses propres pieds. Les Maugrebins n'ont jamais été ni une nation, ni un empire autonome.
Et dès lors, dans la vie pratique, qu'importe que l'étranger maître de l'Algérie s'appelle aujourd'hui le Français ? Il a remplacé un autre étranger, le Turc. C'est si vrai que l'indigène continue à désigner l'administration par un mot

      

turc, il l'appelle le beylick. Et avant le Turc, un autre étranger, l'Arabe.

Et plus loin dans le passé, le Byzantin, le Vandale, 'le Romain, le Carthaginois.

Non seulement la conquête française n'a pas déplacé une classe dirigeante autochtone qui resterait là, dans la coulisse, aigrie de rancunes et de regrets amers. Mais encore, il n'y a jamais eu de classe dirigeante autochtone, jamais au grand jamais à travers les millénaires. Un fait énorme, qui a laissé indéveloppés toute une catégorie de sentiments.

Assurément il ne faut pas perdre de vue cette situation primordiale qui a singulièrement facilité notre tâche. A elle toute seule je ne sais pas si elle est une explication suffisante du phénomène observé, qui est tout de même, à la réflexion, extraordinaire.
Sur les questions algériennes on pourrait s'amuser à recueillir un florilège de Parisiana. On y trouverait par exemple ceci :
« Dès qu'une menace de guerre se manifestera en Europe, il nous faudra distraire 2 ou 300.000 hommes pour aller en Algérie prévenir les insurrections ». Ces lignes ont été écrites en 1913. On les trouvera à la page 602 de la Revue Indigène.

La menace de guerre s'est réalisée. en 1914, et on eût difficilement pu rêver pour l'Afrique Française une épreuve plus sérieuse de solidité. Le bloc n'a pas bougé; entre ces deux éléments, européen et indigène, aucune fissure n'est apparue. Ils ont combattu côte à côte sur le front avec une égale bravoure.

L'après-guerre a confirmé les conclusions que la guerre a fait ressortir. Ailleurs, en Égypte, en Syrie, en Turquie, en Perse, l'après-guerre a déchaîné un ouragan de nationalisme. En Algérie, rien.

La comparaison avec l'Égypte est suggestive. Il ne faut pas se le dissimuler : l'œuvre des Anglais en Égypte, après un demi-siècle d'occupation, est simplement admirable. Ils ont rendu aux Égyptiens des services immenses; et ils les ont rendus sans effusion de sang. Ils en sont payés par une haine inexpiable, injurieuse, étalée au grand jour, prête à l'insurrection.

En Algérie le parti indigène est un parti politique dans le cadre français, parfaitement loyaliste.
On ne veut pas épiloguer sur ce contraste curieux. Il suffit de le constater.

 
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