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Trabut, le chiffre des emblavures oscille entre 2 millions et 2
millions 500.000 hectares. C'est à peu de chose près des chiffre
de 1923.
Que s'est-il passé ? un phénomène complexe.
De 1840 à 1870, dans les belles plaines côtières, dans la Mitidja
par exemple, on a fait du blé en grand. Et en définitive on a
échoué, définitivement.
La raison en est simple. Malgré les efforts prolongés des colons,
le blé dans la Mitidja n'a jamais pu rendre plus de 10 à 12 pour
1.
C'était un progrès énorme; l'indigène n'obtient guère que du 5
au 6. Mais sur nos plateaux limoneux de la Picardie, par exemple, le
rendement est de 40 à 50.
Il faut laisser aux agronomes le soin d'expliquer cette
disproportion, s'ils le peuvent. Et se contenter de constater le
fait, surabondamment établi.
Il est vrai que les rendements sont inférieurs à 10 dans d'autres
coins de la planète, grands exportateurs de céréales, au Manitoba
par exemple.
Mais le Manitoba est un pays de culture extensive où la terre n'a
pas de valeur, et qui ne peut rien produire en dehors des céréales
? La Mitidja est une plaine magnifique au terreau profond, noir,
meuble, imbibé d'eau, à proximité d'un port d'embarquement. Un
sol pareil a une vocation de culture intensive à grand rendement.
On ne se résignait pas à cette culture improductive des céréales
qui paraissait un gâchage de richesses latentes. On pressentait la
possibilité de cultures concurrentes, infiniment plus
rémunératrices.
Ces cultures nouvelles, la Mitidja les a cherchées avec acharnement
de 1848 à 1870.
Le problème de la mise en valeur a reçu sa solution dans les
premières années de la troisième République. La crise du
phylloxéra en France a créé la viticulture algérienne. La vigne
a conquis la Mitidja et en a éliminé les céréales. Dès 1885, il
y a déjà à Boufarik 1.318 hectares de vignes, contre 1089
hectares de blé. Aujourd'hui le blé a pratiquement disparu. C'est
la vigne essentiellement qui est la base de l'opulence actuelle;
d'un rapport énorme et sûr; jusqu'à 150 hectolitres à l'hectare,
d'un gros vin de coupage très riche en alcool (jusqu'à 15°),
d'écoulement facile.
Une évolution analogue s'est produite dans toutes les parties
riches du Tell. |
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Mais alors la courbe des surfaces emblavées n'aurait pas dû rester
stationnaire, elle aurait dû s'effondrer.
Si elle s'est maintenue, c'est qu'il s'est produit ailleurs dans le-sud de
l'Algérie une évolution inverse et compensatrice.
D'après Trabut, au début de la colonisation, on admettait que la culture des
céréales exigeait 600 millimètres de pluies. Aujourd'hui on obtient de
belles récoltes dans des régions où les pluies ne dépassent pas 350
millimètres. Cette révolution d'immense portée a été amenée par
l'introduction des méthodes de culture sèche qu'on a baptisées en Amérique
dry farming.
Le nom vient des États-Unis. Mais la méthode elle-même n'a rien
d'américain; il est vrai seulement qu'elle a été là-bas analysée
scientifiquement et probablement perfectionnée. A cela près le dry farming
est vieux de 2.000 ans et il est méditerranéen.
En somme, dans ce pays silencieux où chacun garde pour soi sa pensée, tout
le monde savait; excepté nous, septentrionaux immigrés.
A partir de 1900 environ, nous aussi nous avons pénétré le secret de
polichinelle. On ne sait pas bien comment. A coup sur nous n'avons pas été
à l'école des États-Unis. Le dry farming apparaît dans les toutes
dernières années du XIXème siècle en Oranie, plus précisément à
Sidi-belAbbés. Il a été importé par des Andalous. On ne nous en dit pas
davantage et je suppose qu'on n'en sait pas plus long.
Les résultats de cette révolution furent considérables.
Et par exemple à l'est de Tiaret s'étendent les plaines du Sersou. Jusqu'à
la fin du XIXème siècle, le Sersou fut, comme le reste des
Hauts-Plateaux, une steppe à peu près vide, pays de nomades et de moutons.
Or, brusquement, en un nombre d'années étonnamment petit, elle s'est
couverte de superbes moissons et de villages européens. Ça été le succès
le plus retentissant du dry farming, celui qu'on cite toujours en exemple.
Ainsi est-il arrivé que les céréales, expulsées des belles plaines, ont
envahi les terres arides, jadis improductives. L'équilibre s'est maintenu,
mais au total le progrès est nul.
Si nous nous demandons pourquoi, ce n'est pas que le colon n'ait fait en
matière de céréales les mêmes merveilles qu'en d'autres domaines. C'est
que cette culture ne l'intéresse pas, toutes les fois que le sol est riche.
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