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   la tête d'une cinquantaine de cavaliers Douairs et Smela, chargea les cavaliers ennemis avec une fougue incroyable. Monté sur un excellent cheval, il s'attacha à la poursuite a Abd El Kader et crut à plusieurs reprises qu'il allait l'atteindre. Cette course effrénée dura 25 kilomètres ! Yusuf se trouvait seul en avant de tous les siens, grâce à la vitesse de son cheval. En vain l'Émir criait-il à ses gens
" Lâches, retournez-vous et voyez : il n'y a qu'un homme qui vous poursuive. " La frayeur l'emportait sur la voix du chef, et la fuite continuait. Le cheval d'Abd el Kader était meilleur encore que celui de Yusuf et le mit finalement hors d'atteinte.
Les succès remportés par Clauzel dans la province d'Oran lui permettant de penser à l'expédition de Constantine, c'est Yusuf qu'il considéra comme l'homme capable de l'aider puissamment dans cette tâche. A cet effet, il le nomma, dés le mois de janvier 1836, bey de Constantine, comptant sur l'habileté du jeune chef d'escadrons, qui connaissait si bien le caractère indigène, pour aplanir nombre de difficultés et lui ouvrir la voie. Yusuf avait à sa disposition les spahis réguliers et auxiliaires, était autorisé à lever un corps de 1.000 Turcs ou Arabes; il devait, pour préparer les voies, gagner progressivement à sa cause les tribus entre Bône et Constantine. C'était une excellente méthode, qui depuis lors a fait ses preuves.
Des le mois d'avril 1836, Yusuf s'établit au camp de Dréan, recevant comme nouveau bey la soumission de nombreuses tribus, et allant châtier celles qui ne reconnaissaient pas son autorité. Il commandait en chef indigène, à la manière d'Abd el Kader, faisant trancher la tête après un jugement sommaire à son secrétaire convaincu de trahison, razziant sans pitié les agglomérations qui lui restaient hostiles. Clauzel était en France, cherchant à obtenir des renforts qui lui furent refusés; parti trop tard en novembre, il arriva cependant sans combat devant Constantine, grâce à l'habile préparation politique de Yusuf, qui le précédait à l'avant-garde avec ses Turcs et ses Indigènes; mais il fut vaincu par le mauvais temps et l'insuffisance des munitions.
Yusuf porta en partie le poids et cet échec, et fut accusé d'ambition, de cupidité et de cruauté. Il reprit cependant ses fonctions de bey au camp de Dréan, avec la même mission, car Clauzel comptait bien renouveler l'expédition. La nomination de Damrémont comme gouverneur militaire modifia sa situation, et le fit revenir comme chef d'escadron aux spahis réguliers de Bône. Yusuf, plein d'amertume,
      

fit un voyage en France; mais il eut vite constaté que les calomnies n'avaient en rien diminué son prestige; fêté partout, il fut même nommé lieutenant-colonel avant de revenir en Algérie, en février 1838, prendre le commandement des spahis réguliers d'Oran.
Quoique Musulman, Yusuf tenait à reprendre la nationalité française, dans laquelle il était né, et il reçut cette qualité en 1839, tout en restant dans les cadres de l'armée au titre indigène. Apprécié par Bugeaud comme par ses chefs précédents, il fut proposé pour colonel par cet illustre général en avril 1842, dans des termes qui le dépeignent mieux encore que ses nombreuses citations à l'ordre
" L'éloge du lieutenant-colonel Yusuf, écrivait Bugeaud au Ministre, est dans toutes les bouches. Il n'est pas un officier, pas un soldat de la province d'Oran qui ne l'admire! jamais on n'a montré plus d'élan, plus d'activité dans l'esprit et dans le corps... Yusuf est un officier de cavalerie légère comme on en trouve bien peu. Aussi désirai-je vivement qu'il soit fait colonel, commandant tous les spahis d'Algérie. Il saura donner à tous les habitudes, l'esprit et l'élan guerriers qui ont si fort distingué les escadrons de Mascara, auxquels on doit une grande partie des succès obtenus. "

Cette proposition valut presque aussitôt à Yusuf le grade de colonel et le commandement dés spahis d'Algérie. On comprend l'autorité que ce chef à la belle prestance, au passé chargé de gloire, avait sur les Indigènes, si admirateurs des qualités physiques et de la bravoure personnelle. 'Yusuf ne devait pas néanmoins se confiner dans la direction générale des vingt escadrons placés sous ses ordres. C'est à cheval, entraînant sa troupe à la poursuite d'Abd el Kader ou de ses partisans, que ce soldat se sentait à sa place.
Dans l'expédition du duc d'Aumale contré la Smala, Yusuf, toujours à l'avant garde avec ses spahis, éclairait la colonne; s'apercevant que sa marche était signalée par des indigènes qui allumaient des feux, il décida de faire un exemple, parvint à en surprendre quelques-uns et les fit exécuter sur le champ. Le procédé était cruel, mais produisit son effet; les signaux lumineux cessèrent, ce qui permit de surprendre la Smala.
Lorsque, le 16 mai 1843, les auxiliaires indigènes aperçurent les premiers l'immense agglomération que formait la Smala, une sorte de conseil se tint autour du duc d'Aumale ; le colonel Yusuf avait avec lui trois escadrons de

 
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