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   dans le cadre des généraux français; malgré ses efforts et ceux de ses amis et malgré l'appui de Bugeaud lui-même, il ne pouvait y parvenir.
Le livre qu'il publia en 1851 " De la guerre en Afrique " témoigne du moins de son activité dans un nouveau domaine. Les principes qu'il y exposait ont servi de bases aux règlements spéciaux si nécessaires à l'armée d'Afrique. Aux conseils militaires pratiques, il ajoutait des pages d'une portée plus haute, celles par exemple où il indiquait le rôle de l'officier des bureaux arabes : " La France veut coloniser, écrivait-il; elle appelle de ses vœux le moment où la charrue pourra entrouvrir ce nouveau sol, où les baïonnettes ne seront plus que protectrices, et où le colon n'aura plus à craindre de voir surgir un ennemi derrière chaque buisson. Dès ce jour (puisse-t-il bientôt luire), l'officier dés bureaux arabes verra encore s'agrandir sa mission : il sera plus que jamais l'homme nécessaire, le trait d'union indispensable; pendant de longues années, il sera appelé, sur les zones de l'intérieur, à diriger, surveiller, protéger la colonisation qui aura franchi le Sahel, et se sera aventurée presque jusqu'au désert. "
Enfin Yusuf obtint en décembre 1851 la récompense qu'il souhaitait ardemment, l'admission dans le cadre des généraux français; le Président de la République, Louis-Napoléon, lui écrivit à ce sujet : " Il était juste que la France adoptât celui qui, depuis de longues années, la défend en Algérie avec tant de courage et de dévouement. "
Nommé au commandement de la subdivision de Médéa, Yusuf mena en 1852 une colonne contre Laghouat ; il eut bien voulu attaquer seul, mais il n'avait que l.500 hommes, et dut se résigner à attendre la colonne du général Pélissier, venant de la province d'Oran. Pélissier fit enlever brillamment l'oasis, mais n'oublia pas de citer Yusuf, qui fut fait grand officier de la Légion d'honneur.
Après un court séjour en 1854 en Crimée, où il organisa un corps de 3.000 " bachi-bouzouks ", qui fut largement diminué par le choléra dans la Dobrudja, puis licencié, Yusuf revint en Algérie. Il fut promu général de division, et dirigea, d'après les ordres du général Randon, des colonnes qui participèrent de la façon la plus efficace, en 1856 et 1857, à la soumission définitive de la Kabylie. En 1859, à l'expédition conduite par le général de Martimprey contre la tribu marocaine des Beni-Snassen, il montra, pendant l'épidémie de choléra qui décima ses troupes, une humanité, un courage et une abnégation admirables.
      

Il fut nommé en 1860 grand'croix de la légion d'honneur par Napoléon III.

La grande expérience que Yusuf avait du Sahara et des Indigènes lui permit de rendre, pendant l'insurrection de 1864, des services importants dans le Sud des provinces d'Alger et d'Oran. Cependant, le maréchal de Mac-Mahon, nommé gouverneur général de l'Algérie, lui déclara au début de 1865 qu' " avec de nouveaux systèmes, il fallait des hommes nouveaux ".
Yusuf demanda la division de Montpellier, mais il tomba gravement malade et alla mourir à Cannes le 16 mars 1866. Dans son agonie, ce merveilleux soldat se revoyait au milieu de ses compagnons des charges d'autrefois, à un moment il se leva sur son séant, étendit les mains en avant comme s'il tenait les rênes de son cheval, et demanda en arabe : " Agha Sliman, qui est autour de moi ? " Dernière évocation de toute une vie héroïque au service de la France.

Yusuf est le seul chef qui ait participé de bout en bout à la conquête de l'Algérie, depuis le débarquement à Sidi Ferruch en juin 1830, jusqu'à la soumission de la Kabylie en 1857, sans parler de l'expédition du Maroc et de l'insurrection de 1864. Il a été comblé de gloire et d'honneurs. Cependant il s'est attiré de nombreuses inimitiés, dues autant à des jalousies inévitables qu'à l'incompréhension de sa mentalité.

Yusuf, quoique redevenu Français, conserva toujours le caractère et la tournure d'esprit d'un Musulman de l'Afrique du Nord. Ses jugements sommaires, après lesquels il faisait trancher des têtes, ses procédés d'administration, n'ayant souvent rien de commun avec ceux de la bureaucratie officielle, l'ont fait critiquer beaucoup plus qu'il n'eût convenu.

Pour juger un homme, il faut se représenter les conditions et le milieu dans lequel il agit. Il vécut à l'époque héroïque de la conquête, qui ne ressembla en rien à la période suivante : superbe cavalier, habile sabreur, vigoureux entraîneur d'hommes, il était fait pour les chevauchées téméraires, les mêlées ardentes et les entreprises audacieuses. Il était adoré des troupes indigènes, et longtemps encore, dans les villages et dans les douars d'Algérie, les descendants des spahis qu'il a si brillamment commandés raconteront des épisodes du temps où leur aïeul servait avec Yusuf.

 
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