L'émir Abd el Kader
Abd el Kader a été un grand soldat, mais c'est la France qu'il
a combattue, et sa place ne paraît pas, au premier abord, marquée
parmi ceux-là même dont il a été le principal adversaire.
Cependant, à l'examen de sa vie, on s'aperçoit que, s'il a lutté
de toutes ses forces contre les Français de 1832 à 1847, pendant
16 ans, il a appris à les connaître et à les aimer au cours de sa
captivité, de 1848 à 1852, pendant 4 ans, et qu'ensuite, depuis sa
libération jusqu'à sa mort en 1883, c'est-à-dire pendant 31 ans,
il a constamment pensé à rapprocher Français et Indigènes, et il
a montré une fidélité dévouée à son pays d'adoption. Son
évolution a été incomprise et souvent même ignorée, aussi bien
par les Français que par les Indigènes, alors qu'elle est le
symbole frappant de l'évolution que les Musulmans de l'Afrique du
Nord subissent progressivement (1).
Si Abd el Kader a été l'ennemi de la France au début de sa vie,
ce fut en raison de son éducation religieuse étroite, basée sur
une interprétation erronée du Coran. L'Islam fournit pour lui,
comme pour presque tous les Musulmans, l'explication des actes de sa
vie. Son père, Mahi ed Dine, était un saint homme qui jouissait
d'une influence considérable dans la région de Mascara; il
recevait à sa zaouïa (lieu de réunion, école) la visite d'autres
marabouts et de pieux voyageurs, il discutait et enseignait le
Coran. Il prêcha, dès avril 1832, la Guerre Sainte contre les
Chrétiens, et attaqua en mai la ville d'Oran; mais, plus ambitieux
pour son fils que pour lui-même, il parvint en novembre à faire
nommer le jeune Abd el Kader " Sultan " par les tribus de
la région.
Pour étendre plus largement son autorité, Abd el Kader avait non
seulement à s'opposer aux progrès des Français d'Oran, mais à
combattre les Turcs de Tlemcen et de Mostaganem et ses grands rivaux
indigènes, chefs de tribus. Il eut l'adresse d'amener le général
Desmichels à signer avec lui, en 1834, un traité qui non seulement
reconnaissait son pouvoir, mais aussi le titre qu'il s'était donné
d'Émir et Moumenin (Commandeur des Croyants); il put ainsi étendre
son influence jusqu'à Médéa et Miliana dans la
(1) Voir : L'émir Abd el Kader, par le colonel Paul Azan, Paris,
librairie Hachette, 1925, pour les détails de cette évolution du
grand héros indigène.
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