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   l'Algérie, c'est que Dieu l'a voulu, et la nation ne renoncera jamais à cette conquête. Vous avez été l'ennemi de la France, mais je n'en rends pas moins justice à votre courage, à votre caractère, à votre résignation dans le malheur; c'est pourquoi je tiens à honneur à faire cesser votre captivité, ayant pleine foi dans votre parole. " Abd el Kader eut l'occasion de définir plus tard sa reconnaissance en termes symboliques : " D'autres ont pu me terrasser, disait-il; d'autres ont pu m'enchaîner; mais Louis-Napoléon est le seul qui m'ait vaincu. "
De ce jour en effet, Abd el Kader fut dévoué à la France, et il le fit avec une élévation et une délicatesse de sentiments révélées par bien des circonstances.
Lorsqu'il vint à Paris, en octobre 1852, avant de partir pour l'Orient, voir Louis-Napoléon à Saint-Cloud, il dit à l'officier qui l'accompagnait : " Les journaux ont prétendu que lorsque le Sultan (Louis-Napoléon) est venu me rendre ma liberté, je lui ai fait des serments. Je ne l'ai pas voulu, à cause de lui, et à cause de moi. A cause de lui, parce que ç'eût été diminuer la grandeur de sa générosité, en laissant croire qu'il m'avait dicté des conditions; à cause de moi, parce qu'il me répugnait de passer pour un Juif qui rachèterait sa liberté moyennant un morceau de papier. Je veux, pour prouver que j'agis de ma pleine volonté, remettre entre les mains du Sultan un engagement écrit. "
Dans cet engagement, qu'il remit, il avait écrit : " Je viens vous jurer, par les promesses et le pacte de Dieu, par les promesses de tous les prophètes et de tous les envoyés, que je ne ferai jamais rien de contraire à la foi que vous avez eue en moi... J'ai été témoin de la grandeur de votre pays, de la puissance de vos troupes, de l'immensité de vos richesses et de votre population, de la justice clé vos décisions, de la droiture de vos actes, de la régularité de vos affaires; tout cela m'a convaincu que personne ne vous vaincra, que personne autre que le Dieu tout-puissant ne pourra s'opposer à votre volonté. J'espère de votre générosité et de votre noble caractère que vous me maintiendrez près de votre cœur, alors que je serai éloigné, et que vous mettrez au nombre des personnes ce votre intimité, car si je ne les égale pas par l'utilité des services, je les égale par l'affection que je vous porte. "
Lorsqu'Abd el Kader visita l'église de la Madeleine, il prit le bras du curé pour entrer dans le temple des Chrétiens; bien plus, il s'arrêta devant l'autel pour prier Dieu, donnant ainsi l'exemple de la tolérance.
      

Aux Invalides, il dit au chirurgien : " Mon seul chagrin est que quelques-uns des braves qui se trouvent ici aient été blessés par les armes des miens. "
Lorsque fut organisé, en novembre 1852, le plébiscite sur l'Empire, Abd el Kader faisait à Amboise ses derniers préparatifs de départ. Il écrivit au maire d'Amboise pour lui demander la permission de voter : " Nous devons, lui disait-il, nous considérer aujourd'hui comme Français, en raison de l'amitié et de l'affection qu'on nous témoigne. et des bons procédés qu'on a pour nous. " A la suite de cette lettre, il fut autorisé à déposer, ainsi que ses compagnons, des bulletins dans une urne spéciale. Or, par une coïncidence étrange, il y avait vingt ans, jour pour jour, qu'il avait été proclamé Sultan par les tribus!
Ainsi, cet Indigène algérien qui, vingt ans auparavant, prêchait la Guerre Sainte et aimait à se faire appeler " coupeur de têtes de Chrétiens pour l'amour de Dieu ", déclarait qu'il devait " se considérer comme Français ", et demandait à prendre part à un vote national. Bien plus, en quittant Amboise, il faisait don d'un magnifique lustre à l'église paroissiale... Quelle étape parcourue vers le patriotisme français et la tolérance religieuse, grâce à un contact prolongé avec la France.
De cette transformation d'Abd el Kader, conclure qu'un séjour en France doit faciliter l'évolution de tous les Indigènes algériens serait une grande erreur. Abd el Kader, étant prisonnier, resta en France dans son milieu, entouré des siens, et n'eut connaissance des mœurs et des institutions du pays que progressivement, par l'intermédiaire du général Daumas, puis du commandant Boissonnet. Il discuta quotidiennement, pendant plusieurs années, avec ces officiers, qui parlaient sa langue et qui connaissaient la mentalité des Musulmans algériens.
Des hommes appartenant à l'élite indigène peuvent de la sorte, s'ils sont bien guidés, tirer d'un séjour en France grand profit pour eux et pour leur pays. Mais des hommes manquant d'une préparation suffisante et livrés à eux-mêmes, ne peuvent, par ce séjour, que perdre leurs qualités natives et subir de funestes déformations morales
Abd el Kader lui-même a exprimé en une formule imagée les effets différents que l'instruction peut produire suivant qu'elle s'adresse à un cerveau préparé ou non " La science peut être comparée à la pluie du ciel; quand une goutte tombe dans une huître entr'ouverte, elle produit la perle; quand elle tombe dans la bouche de la

 
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