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trempés au moral comme au physique. Les colonels et les chefs de
bataillon un peu âgés, chez qui la vigueur d'esprit et de cœur ne
soutient pas les forces physiques, devraient être rappelés en
France... Ce qu'il faut aussi pour faire la guerre avec succès, ce
sont des brigades de mulets militairement organisés, afin de ne pas
dépendre des habitants du pays, de pouvoir se porter partout avec
légèreté et .de ne pas charger les soldats. " Il
considérait comme " de la barbarie " de faire porter aux
soldats sept à huit jours de vivres, soixante cartouches, des
chemises, souliers, marmites, même s'ils étaient choisis robustes
et entraînés, " Il faut donc faire les choses largement,
concluait-il, ce sera économiser les hommes et l'argent. Il faut
être forts, ou sen aller. "
Bugeaud constatait, dans un second rapport du 24 juin que, pour ce
genre de guerre, " les nouveaux régiments étaient
détestables ", que les officiers venant à contrecœur
n'étaient bons qu'à démoraliser leurs hommes, et qu'il fallait
" des troupes constituées tout exprès ". Ces principes,
qui lui apparaissaient si aisément parce qu'il avait fait la guerre
de partisans en Espagne, ont été maintes fois oubliés en Afrique
du Nord, et ont chaque fois été rappelés par des expériences
coûteuses.
Pendant son court séjour de 1836 en Algérie, Bugeaud eut la gloire
de battre complètement à la Sikkak, le 6 juillet, Abd el Kader qui
avait voulu lui barrer la route de la mer à Tlemcen. Il résuma ses
observations dans un Mémoire sur la guerre dans la province d'Oran
qui répétait les principes exposés dans ses rapports, et disait
en outre
" Il ne faut point trop multiplier les postes fortifiés, qui
diminuent les ressources disponibles en hommes, sont coûteux et
difficiles à ravitailler, et exposent aux surprises ". Le
succès devait être obtenu, suivant lui, par une activité
incessante, par un " système de colonnes agissantes ".
Reparti pour la France dés le 30 juillet et nommé
lieutenant-général, il fut, en 1837, chargé d'une nouvelle
mission en Algérie. Le Gouvernement voulait la paix dans l'ouest
avec Abd el Kader avant d'entreprendre la seconde expédition de
Constantine. Bugeaud devait obtenir cette paix, sans avoir à en
référer au nouveau Gouverneur, le général de Damrémont.
Débarqué le 5 avril 1837 à Oran, il fit des préparatifs pour une
nouvelle campagne, mais conclut, dés le 30 mai, le traité de la
Tafna avec Abd el Kader ; il avait accordé pleine confiance à son
adversaire, écrivant au ministre des Affaires Étrangères : |
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" Je me rends garant de l'Émir, et je prouve la foi que j'ai dans sa
parole par la grande responsabilité que j'assume sur ma tête. "
Ce traité de la Tafna, qui lui fut souvent reproché par la suite, était peu
avantageux pour la France. Il donnait à Abd el Kader un territoire comprenant
les provinces d'Oran et d'Alger, sauf les ports et une faible zone réservée
à la colonisation. Il étendait la puissance d'Abd el Kader dans le but
d'obtenir une plus grande sécurité commerciale et agricole; mais il
n'envisageait pas assez le danger de cette puissance. D'ailleurs, le texte
arabe, le seul sur lequel Abd el Kader avait apposé son cachet, n'était
même pas conforme au texte français ; la partie de l'article Ier si
importante, rédigée : " L'émir Abd el Kader reconnaît la
souveraineté de .la France en Afrique " était traduite : " Le
Commandeur des croyants sait que le Sultan est grand ", phrase vide de
sens. La faute en était aux deux interprètes, l'un Syrien, ignorant la
langue française, l'autre, Juif, de mauvaise foi !
Si Bugeaud faisait de larges concessions territoriales à l'Émir, c'est que,
à ce moment, il ne croyait pas à l'avenir de l'Afrique, et estimait
préférable de développer des régions de la Métropole encore mal
exploitées et mal outillées. Il avait d'ailleurs été trompé par Abd el Kader,
dont il comptait faire un instrument de la France, tandis que l'Émir ne
voyait, dans ce traité, qu'une trêve lui permettant d'organiser ses forces
pour reprendre au moment opportun une campagne décisive contre les
Chrétiens.
Comme il doublait son grade de général des fonctions de député, il
défendit en 1838, à la tribune de la Chambre, le traité qu'il avait conclu.
Il estimait qu'un arrangement de cette sorte était préférable à des
colonnes coûteuses en argent et en hommes, qui, après avoir consommé leurs
vivres et brûlé les moissons des Indigènes, revenaient à leur point de
départ sans autres résultats : " Vous n'avez pas encore de système,
déclarait-il ; je vous ai donné, par le traité, du temps pour juger; et
quand ce ne serait que cela, ce serait déjà un très grand service. "
Il exposait son système à lui : au lieu de 30.000 ou 40.000 hommes en
Algérie, il en fallait 100.000 répartis par colonnes de 10.000 hommes, 3.000
au dépôt, 7.000 pour parcourir le pays; ces colonnes devaient avoir des
bases de ravitaillement correspondantes sur le littoral. Si la France
désirait la guerre, l'Émir lui fournirait, affirmait-il, l'occasion de
rompre le traité.
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