Pages précédentes CAHIERS DU CENTENAIRE DE L'ALGÉRIE LIVRET 4 LES GRANDS SOLDATS DE L'ALGÉRIE Pages suivantes
- 66 - Table des matières - 67 -
   
   chez les légitimistes, chez les républicains et chez les orléanistes eux-mêmes; il avait tellement critiqué l'occupation de l'Algérie qu'il était suspect à ceux qui désiraient en finir. Cependant, il avait exposé, en mai 1840 à la Chambre, le programme d'action qu'il préconisait, en disant : " II faut soumettre Abd el Kader; il faut le détruire, car sans cela vous n'arriverez à rien. Sa capacité, sa finesse, sa duplicité, le rendent fort dangereux. Il faut lui faire une guerre acharnée : mais pour cela, il faut de grandes forces et beaucoup de persévérance. " Le signataire du traité de la Tafna avait donc considérablement évolué, et il allait remplir de bout en bout, comme gouverneur, le programme ainsi exposé.
Le jour même de son arrivée à Alger, le 22 février 1841, Bugeaud adressa une proclamation aux habitants de l'Algérie, et une à l'armée.
Aux habitants, il exposait qu'il avait été l'adversaire de la conquête absolue en raison des moyens humains et financiers qu'elle exigeait, mais qu'il s'y consacrerait désormais tout entier : " La conquête, ajoutait-il, serait stérile sans la colonisation, " Plus de fermes isolées difficiles à protéger, mais des villages organisés défensivement, ayant pour but de faire rendre à la terre tout ce qu'elle pouvait donner; appel aux capitaux; appel aux colons; tel était son programme,
A l'armée, il disait que son but n'était pas de faire fuir les Arabes, mais de les soumettre, et que, tout en demandant un sérieux effort aux troupes, il serait " attentif à ménager leurs forces et leur santé ".
Ces proclamations pleines de franchise et de bon sens furent bien accueillies par ceux à qui elles s'adressaient. La guerre qu'entreprit Bugeaud fut toute différente de celle menée jusque-là; elle consista à occuper ou à créer de grands postes ou des villes, d'où les colonnes allégées et par suite mobiles rayonnèrent, allant frapper dans leurs intérêts matériels les tribus récalcitrantes. Par contre, les chapelets de camps inutiles installés par le maréchal Valée furent évacués. Les " razzia " consistant à aller piller les tribus dissidentes, en leur enlevant troupeaux, récoltes et otages, furent empruntées aux procédés de guerre locaux, à défaut d'autre moyen d'atteindre un ennemi qui se dérobait; elles furent d'ailleurs beaucoup plus humaines que celles des Turcs ou d'Abd el Kader.
Tandis que Bugeaud allait dans la province d'Oran en mai, détruire Tagdempt, où Abd el Kader avait installé ses
      

fabriques et ses magasins, puis occuper Mascara par une garnison, le général Baraguey d'Hilliers faisait tomber, dans la province d'Alger, Boghar et Taza. En juin Bugeaud, organisant ses bataillons en faucheurs et batteurs, fit récolter le blé de la tribu d'Abd el Kader aux environs de Mascara et l'emmagasina pour l'alimentation de ses troupes. En automne, il détruisit la maison et l'établissement religieux du père d'Abd el Kader, puis la ville de Saïda. Ainsi, l'Émir voyait tomber successivement toutes ses villes, mais continuait à se dérober, dans l'espoir d'une revanche occasionnelle.
Bugeaud résolut de l'atteindre et de ne laisser aucun répit aux tribus qui lui étaient soumises. Il donna ainsi à la guerre, en 1842, le caractère nouveau qui a été qualifié " jeu de barres ". La Moricière dans la province d'Oran, Changarnier dans la province d'Alger fournirent un effort considérable contre les lieutenants de l'Émir, qui se trouvèrent peu à peu chassés des gouvernements qui leur avaient été attribués. Calquant alors les procédés d'Abd el Kader, Bugeaud créa des divisions administratives et mit à leur tête des chefs indigènes choisis par la France.
Il pensait d'ailleurs à utiliser les moyens politiques pour favoriser la pacification. Sachant que, d'après les ; interprétateurs du Corari, des Musulmans ne pouvaient accepter volontairement la domination des infidèles, il avait envoyé en Orient Léon Roches, qui avait été pendant plusieurs années secrétaire d'Abd el Kader, pour obtenir une fettoua, c'est-à-dire une décision des savants de l'Islam, expliquant que cette acceptation était possible.

La fettoua qu'avait obtenue Léon Roches était ainsi rédigée : " Quand un peuple musulman, dont le territoire a été envahi par les Infidèles, les a combattus aussi longtemps qu'il a conservé l'espoir de les en chasser, et quand il est certain que la continuation de la guerre ne peut amener que misère, ruine et mort pour les Musulmans, sans aucune chance de vaincre les Infidèles, ce peuple, tout en conservant l'espoir de l'aide de Dieu, peut accepter de vivre sous leur domination à la condition expresse qu'ils conserveront le libre exercice de leur religion et que leurs femmes et leurs filles seront respectées. " On comprend l'importance de cette décision, pour ceux que seul le devoir impérieux de la Guerre Sainte retenait sous la bannière d'Abd el Kader
Pour frapper l'esprit des Indigènes, Bugeaud se fit d'ailleurs à cette époque graver un cachet portant l'inscription

 
Pages précédentes   Table des matières   Pages suivantes