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chez les légitimistes, chez les républicains et chez les
orléanistes eux-mêmes; il avait tellement critiqué l'occupation
de l'Algérie qu'il était suspect à ceux qui désiraient en finir.
Cependant, il avait exposé, en mai 1840 à la Chambre, le programme
d'action qu'il préconisait, en disant : " II faut soumettre Abd el Kader;
il faut le détruire, car sans cela vous n'arriverez à rien. Sa
capacité, sa finesse, sa duplicité, le rendent fort dangereux. Il
faut lui faire une guerre acharnée : mais pour cela, il faut de
grandes forces et beaucoup de persévérance. " Le signataire
du traité de la Tafna avait donc considérablement évolué, et il
allait remplir de bout en bout, comme gouverneur, le programme ainsi
exposé.
Le jour même de son arrivée à Alger, le 22 février 1841, Bugeaud
adressa une proclamation aux habitants de l'Algérie, et une à
l'armée.
Aux habitants, il exposait qu'il avait été l'adversaire de la
conquête absolue en raison des moyens humains et financiers qu'elle
exigeait, mais qu'il s'y consacrerait désormais tout entier :
" La conquête, ajoutait-il, serait stérile sans la
colonisation, " Plus de fermes isolées difficiles à
protéger, mais des villages organisés défensivement, ayant pour
but de faire rendre à la terre tout ce qu'elle pouvait donner;
appel aux capitaux; appel aux colons; tel était son programme,
A l'armée, il disait que son but n'était pas de faire fuir les
Arabes, mais de les soumettre, et que, tout en demandant un sérieux
effort aux troupes, il serait " attentif à ménager leurs
forces et leur santé ".
Ces proclamations pleines de franchise et de bon sens furent bien
accueillies par ceux à qui elles s'adressaient. La guerre
qu'entreprit Bugeaud fut toute différente de celle menée
jusque-là; elle consista à occuper ou à créer de grands postes
ou des villes, d'où les colonnes allégées et par suite mobiles
rayonnèrent, allant frapper dans leurs intérêts matériels les
tribus récalcitrantes. Par contre, les chapelets de camps inutiles
installés par le maréchal Valée furent évacués. Les "
razzia " consistant à aller piller les tribus dissidentes, en
leur enlevant troupeaux, récoltes et otages, furent empruntées aux
procédés de guerre locaux, à défaut d'autre moyen d'atteindre un
ennemi qui se dérobait; elles furent d'ailleurs beaucoup plus
humaines que celles des Turcs ou d'Abd el Kader.
Tandis que Bugeaud allait dans la province d'Oran en mai, détruire
Tagdempt, où Abd el Kader avait installé ses |
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fabriques et ses magasins, puis occuper Mascara par une garnison, le général
Baraguey d'Hilliers faisait tomber, dans la province d'Alger, Boghar et Taza.
En juin Bugeaud, organisant ses bataillons en faucheurs et batteurs, fit
récolter le blé de la tribu d'Abd el Kader aux environs de Mascara et
l'emmagasina pour l'alimentation de ses troupes. En automne, il détruisit la
maison et l'établissement religieux du père d'Abd el Kader, puis la ville de
Saïda. Ainsi, l'Émir voyait tomber successivement toutes ses villes, mais
continuait à se dérober, dans l'espoir d'une revanche occasionnelle.
Bugeaud résolut de l'atteindre et de ne laisser aucun répit aux tribus qui
lui étaient soumises. Il donna ainsi à la guerre, en 1842, le caractère
nouveau qui a été qualifié " jeu de barres ". La Moricière dans
la province d'Oran, Changarnier dans la province d'Alger fournirent un effort
considérable contre les lieutenants de l'Émir, qui se trouvèrent peu à peu
chassés des gouvernements qui leur avaient été attribués. Calquant alors
les procédés d'Abd el Kader, Bugeaud créa des divisions administratives et
mit à leur tête des chefs indigènes choisis par la France.
Il pensait d'ailleurs à utiliser les moyens politiques pour favoriser la
pacification. Sachant que, d'après les ; interprétateurs du Corari, des
Musulmans ne pouvaient accepter volontairement la domination des infidèles,
il avait envoyé en Orient Léon Roches, qui avait été pendant plusieurs
années secrétaire d'Abd el Kader, pour obtenir une fettoua, c'est-à-dire
une décision des savants de l'Islam, expliquant que cette acceptation était
possible.
La fettoua qu'avait obtenue Léon Roches était ainsi rédigée : " Quand
un peuple musulman, dont le territoire a été envahi par les Infidèles, les
a combattus aussi longtemps qu'il a conservé l'espoir de les en chasser, et
quand il est certain que la continuation de la guerre ne peut amener que
misère, ruine et mort pour les Musulmans, sans aucune chance de vaincre les
Infidèles, ce peuple, tout en conservant l'espoir de l'aide de Dieu, peut
accepter de vivre sous leur domination à la condition expresse qu'ils
conserveront le libre exercice de leur religion et que leurs femmes et leurs
filles seront respectées. " On comprend l'importance de cette décision,
pour ceux que seul le devoir impérieux de la Guerre Sainte retenait sous la
bannière d'Abd el Kader
Pour frapper l'esprit des Indigènes, Bugeaud se fit d'ailleurs à cette
époque graver un cachet portant l'inscription
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