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   Le motif le plus sérieux de désaccord entre La Moricière et Bugeaud était la discordance entre leurs systèmes de colonisation. Tandis que Bugeaud voulait établir des colons militaires en leur fournissant tous les moyens nécessaires, La Moricière préférait que des hommes disposant de capitaux suffisants missent en valeur des concessions qui leur seraient attribuées; afin de pouvoir attribuer ces concessions, il définissait les terrains laissés aux Indigènes pour leurs cultures et leur parcours, c'est-à-dire leur « canton­nement ». Il estimait que de nouveaux venus, sans expérience et sans capitaux, ne pourraient créer des établissements durables; il voulait non des ouvriers incapables de faire valoir, mais des hommes jouant un rôle analogue à celui joué en France par des métayers et des fermiers, et autour desquels se grouperaient des ouvriers. Il basait son système sur l'établissement rapide du régime civil, sur la décentralisation des institutions et sur l'initiative privée, tandis que Bugeaud ne faisait reposer le sien que sur le régime militaire et sur l'autorité absolue du gouverneur.

La Moricière avait longuement étudié l'histoire de l'Afrique romaine, celle des colonies françaises, les mœurs et la religion des populations musulmanes. Dans ses projets, qui étaient le fruit de ces laborieuses études, il envisageait la marche progressive des villages français de la côte vers le Sud, les moyens d'entente avec les populations indigènes, en un mot la constitution d'une colonie riche et productive. Mais il était désolé de constater combien toutes ces questions étaient peu comprises par les Chambres : « Quel déplorable spectacle, écrivait-il, que celui d'hommes aussi ignorants, aussi faibles, aussi peu gens d'affaires, discutant de semblables questions, de pareils intérêts ! » Pour pouvoir faire triompher plus aisément ses idées, il alla en 1846 se faire élire député dans la Sarthe.

En même temps, il mettait son système en pratique dans le « triangle de colonisation » s'étendant entre Oran, Mostaganem et Saint-Denis du Sig; après avoir dressé une carte complète et détaillée de la situation si compli­quée de la propriété indigène, de manière à ne léser personne, il accordait des concessions provisoires aux émigrants attirés en Afrique par sa réputation.

Le général de division, transformé en capitaine d'industrie et en député, écrivait à un ami en mai 1846 : « Tant que nous n'avons eu ici que la guerre à faire, je me suis renfermé dans les devoirs simples de ma profession, j'ai
      

fait mon chemin le sabre au poing et les éperons au ventre de mon cheval » ; mais il s'était désormais tracé un autre devoir, celui de faire progresser la colonisation.

Venu à Paris pour se marier, au printemps de 1847, La Moricière put détruire à la Chambre nombre de fausses conceptions, montrer que la tribu ne pouvait se transformer soudainement, que l'assimilation des Indigènes était pour longtemps impossible, et répandre ses idées sur la colonisation.
De retour à Oran, il continua à s'occuper avec activité de ces questions; il essaya de stabiliser les Indigènes, en les poussant à construire des maisons, en leur enseignant des procédés de culture, en cherchant à leur donner d'autres éléments d'instruction que les seuls versets du Coran. Dans ses rapports, il exposait les questions en homme connaissant d'une manière approfondie l'état d'âme des Indigènes :
« Nous avons beau gouverner avec équité et mansuétude, écrivait-il, le droit régulier n'est pas pour nous, et il n'est pas décidé qu'il soit permis d'obéir aux Chrétiens sans abandonner sa religion. »

Il s'ingéniait en même temps à aider les colons européens désireux de s'établir, leur fournissant des bœufs, des truies, de la semence, favorisant le défrichement et l'irrigation. Il avait à vaincre les résistances de la bureaucratie, car l'ordonnance du 4 décembre 1846 relative aux grandes concessions avait hérissé ces opérations de difficultés, comme pour décourager les capitaux désireux de s'employer.

Quoique s'occupant avec ardeur du développement de la colonisation, La Moricière ne perdait pas de vue la surveillance d'Abd el Kader, réfugié au Maroc. Au mois de décembre 1847, il avait fermé tous les passages, alors que l'Émir pourchassé par les Marocains avec sa « deïra » encombrée de femmes, d'enfants et de blessés, était aux abois. Dans la nuit du 21 au 22 décembre, Abd el Kader découragé, résigné à « la volonté de Dieu », remit à un lieutenant de spahis une feuille de papier sur laquelle il apposa son cachet; La Moricière, qui reçut cet envoi à cheval dans la nuit, lui envoya en retour son sabre et le cachet du commandant Bazaine. Ce premier échange fut confirmé, dans le courant de la journée, par une lettre d'Abd el Kader, à laquelle La Moricière répondit par une promesse écrite d'aman. L'Émir vint se rendre avec ses fidèles dans la journée du 23, au lieu même de sa plus retentissante victoire, à Sidi Brahim, où il trouva le colonel

 
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