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sur tout, et avec qui il venait même d'établir un vaste plan de
campagne pour le printemps. Mais le jeune général allait être
bientôt aussi apprécié du nouveau gouverneur que de l'ancien.
Bugeaud commença immédiatement à agir avec ses colonnes,
destinées non plus seulement à ravitailler les postes, mais aussi
à inquiéter l'ennemi par des mouvements offensifs. Le 2 avril, au
Tenia de Mouzaïa, Changarnier reçut à l'omoplate une balle qui
lui fit une blessure assez grave. Tandis que le chirurgien le
pansait : « Pressezvous, lui disait-il, j'ai des ordres à donner
» ; et, le bras en écharpe, il se remit en selle ! A peine
rétabli, à la fin du mois, il reçut le commandement d'une brigade
dans l'expédition de Miliana. Il prit part en mai aux expéditions
du général Baraguey-d'Hilliers, qui eurent pour objet de détruire
les villes de l'Émir, Boghar et Taza.
La guerre avait pris une forme nouvelle, contre des adversaires qui
adoptaient comme moyen de défense de se dérober : elle
s'exécutait sous la forme de razzia, suivant les instructions de
Bugeaud. Changarnier y excella, ménageant ses troupes sauf le cas
de nécessité absolue, protégeant efficacement les tribus qui se
soumettaient, poursuivant impitoyablement les autres.
Bugeaud lui écrivait le 24 juin 1842 : « On n'a réellement pas le
temps d'apprendre le nom de toutes les tribus qui viennent à vous.
Poursuivez cette belle volage qu'on nomme la Fortune... Modifiez,
comme vous l'entendez, les instructions que je vous ai données. Il
me tarde de connaître la suite des résultats brillants que vous
avez obtenus. Quelques jours plus tard, Changarnier tombait par
surprise, dans la vallée du Chélif, sur des tribus en fuite, et
leur enlevait 3.000 prisonniers, 1.800 chevaux et d'immenses
troupeaux, méritant par cette affaire ces lignes de Bugeaud : « Je
suis transporté de joie, c'est admirable. »
La mission qui fut confiée à Changarnier pour l'automne 1842
était plus difficile. Il devait descendre le Chélif jusqu'à
l'oued Fodda, et aborder les montagnes tourmentées de l'Ouarensenis,
tandis qu'une colonne partie de Cherchell tendrait à se joindre à
lui. Il remplit assez aisément une partie de sa mission; mais
environné, dans la vallée même de l'oued Fodda, par des milliers
d'assaillants, il livra le 19 septembre un combat rempli d'épisodes
tragiques, où sa colonne eût pu être anéantie. Il ne perdit pas
un moment son sang-froid ni son assurance, et donna ses ordres avec
le coup d'œil qui était une de ses plus |
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grandes qualités. Sorti de cette dangereuse situation au prix de pertes
cruelles en officiers et en hommes, il termina néanmoins l'opération par une
razzia sur les tribus même qui avaient tenté de l'accabler. L'effet produit
par cette campagne aida puissamment au succès des trois colonnes
convergentes, dont l'une commandée par Changarnier, qui opérèrent dans
Ouarensenis à la fin dé l'année.
Les rapports entre Bugeaud et Changarnier se tendirent dans les premiers mois
de 1843. Bugeaud était-il dépité de voir la presse le critiquer âprement
et distribuer des louanges à ses lieutenants ? Changarnier estimait-il que le
gouverneur ne reconnaissait plus suffisamment le succès de ses efforts pour
amener la pacification des tribus ? II n'y avait là sans doute qu'un
malentendu entre deux caractères fort différents, Bugeaud ayant eu des
vivacités de langage ou de plume que la fierté et la susceptibilité de son
subordonné n'avaient pas supportées. En tous cas, Changarnier n'eut pas à
se plaindre de son avancement, car arrivé en Afrique six ans et demi
auparavant comme capitaine, il fut nommé lieutenant-général le 9 avril.
Commandant la division de Titteri et Miliana, il eut sous ses ordres le duc
d'Aumale, qui alla surprendre la Smala, pendant que lui-même pacifiait les
montagnes de l'Ouarensenis par des colonnes successives. Mais ses rapports
avec Bugeaud ne s'améliorant pas, il dut rentrer en France.
Changarnier remplit pendant quatre ans, d'août 1843 à septembre 1847, des
fonctions d'inspecteur d'infanterie, menant une vie bien différente de celle
qu'il avait menée en Afrique, et briguant même un siège de député que les
électeurs ne lui donnèrent pas. Lorsque, après le retour en France de
Bugeaud, le duc d'Aumale lui offrit de servir en Algérie sous ses ordres, il
accepta avec empressement; il prit le commandement de la division d'Alger,
tandis que La Moricière commandait la division d'Oran, Bedeau celle de
Constantine, et que le général Cavaignac conservait la subdivision de
Tlemcen.
Abd el Kader s'était à peine rendu depuis quelques semaines, que la
Révolution de 1848 vint bouleverser cet état de choses. Tandis que le duc
d'Aumale s'embarquait pour l'exil, Changarnier prenait l'intérim du
gouvernement général, pour lequel le général Cavaignac était désigné.
Appelé à Paris, « les circonstances firent malheureusement de lui, comme il
l'écrivit plus tard, un personnage politique ».
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