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   Les officiers ont des attributions multiples qui en font des manières de protées de l'administration. Ils préparent et classent la correspondance relative aux affaires arabes; prennent connaissance de ces affaires à l'audience quotidienne des réclamations ou « chekâïât » ; font la police du territoire ; jouent le rôle d'officiers de police judiciaire ; tiennent les registres d'état civil, d'écrou et d'amende ; surveillent la justice et l'instruction musulmanes, les groupements religieux, marabouts et zaouias ; enfin et surtout, recueillent et transmettent des renseignements de toute nature : topographiques, historiques, politiques, sociaux et économiques.

Ainsi agencé, le Service des Bureaux Arabes allait bien vite devenir un instrument admirablement approprié au but de pacification et d'organisation poursuivi. Quelques années devaient lui suffire pour acquérir du milieu indigène une connaissance approfondie, véritable trésor d'expérience, bien gardé, soigneusement entretenu, sans cesse accru par un personnel de recrutement homogène, ayant ses traditions propres et son esprit de corps. La maîtrise politique qu'elle lui conférera, l'autorité morale et le prestige qu'il en retirera, le destineront à jouer, pendant de longues années, un rôle de tout premier plan : celui de trait d'union entre Européens et indigènes. Des premiers il bridera les impatiences. Il calmera, des derniers, les inquiétudes, dissipera les doutes et défiances, brisera l'indiscipline et la révolte, les habituant peu à peu à cet ordre de choses tout nouveau qu'est la paix française, les persuadant en même temps de notre supériorité et de notre force.
Mais, comme les abeilles, l'Administration militaire travaille pour autrui : elle prépare la venue du régime civil.


L'histoire de l'Algérie sous le second Empire est la relation d'un conflit aigu entre l'élément civil et l'autorité militaire, dont les phases principales et les péripéties ont été souvent retracées. Ce sont : l'affaire Doineau, en 1856; la suppression du Gouvernement général, en 1858, et la création du Ministère de l'Algérie et des Colonies qui vivra jusqu'en 1860; les voyages de Napoléon III, au cours des années 1860 et 1863, et les grandes enquêtes de 1868 et 1869, la première dirigée par le Comte Le Hon, la deuxième présidée par le Maréchal Randon et dont les conclusions sont consignées dans le rapport d'Armand Béhic.

      

L'effort de l'attaque menée contre le régime militaire devait porter principalement sur les Bureaux arabes. Ceux-ci, primitivement conçus comme un instrument perfectionné mis aux mains des officiers généraux et supérieurs, avaient fini par s'attribuer un rôle autrement important. Détenant la compétence et l'expérience, ils avaient pris, sur des chefs trop souvent étrangers au service, ou qui, lorsqu'ils en provenaient, ne faisaient qu'y passer, un ascendant moral assez fort pour attirer à eux la réalité du pouvoir, un pouvoir d'autant plus redoutable qu'il s'exerçait sans le contrepoids de la responsabilité. Il y eut des abus; des scandales éclatèrent. Devant la Cour d'assises d'Oran comparut le capitaine Doineau, chef du Bureau arabe de Tlemcen, inculpé d'attaque contre une diligence et d'assassinat commis sur la personne de l'agha Ben Abdallah dont il aurait eu à craindre les révé­lations. Jules Favre, défenseur d'un des accusés, fit, par­dessus sa tête, le procès de cette administration sous laquelle faisaient défaut, disait-il, les garanties indispensables de liberté et de justice; de ces officiers qui, maîtres de la vie et de la fortune de leurs administrés, les soumettaient à un odieux arbitraire, dilapidaient les fonds secrets mis à leur disposition et, dans la crainte que leurs coupables agissements ne fussent divulgués par les colons, entravaient leur établissement.

Ces arguments de plaidoirie, qui eurent à l'époque un grand retentissement, ne suffisent pas à expliquer devant l'histoire que les bureaux arabes aient perdu, sous l'Empire, la faveur de l'opinion publique et que le discrédit dans lequel ils allaient tomber ait rejailli sur le régime. Épisodes de la lutte, coins du champ de bataille, ils définissent les positions des parties en présence. Mais la critique impartiale ne peut les prendre assez au sérieux pour y voir la cause profonde du conflit.

Tout d'abord, les abus de certains de ses membres n'avaient pas infecté le corps tout entier des bureaux arabes. Si, d'autre part, les colons, aigris par leurs échecs, étaient portés à en accuser l'autorité militaire, il est trop évident qu'après le violent effort de la conquête et des premières tentatives de colonisation sous la Royauté, la République de 1848 et l'Empire naissant, le recueillement s'imposait. Le milieu indigène, profondément bouleversé par la lutte, soumis mais frémissant encore, inquiet de la menace prononcée contre sa possession du sol par une formidable immigration, demandait à être rassuré.

 
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