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Les échecs de notre colonisation démontraient la nécessité d'une
mise au point de nos méthodes, pendant que les résultats d'ores et
déjà acquis commandaient une organisation des services publics
indispensables à la vie et au développement de la société
moderne nouvellement installée dans le cadre social primitif.
C'était un grand labeur à accomplir. Rendons à César ce qui lui
appartient : il l'a, d'une manière générale, mené à bien. Le
second Empire a poursuivi avec diligence l'équipement économique
de l'Algérie. Les travaux publics : ports, routes, voies ferrées,
barrages, ont été rapidement entrepris et exécutés. La situation
des indigènes a été fixée dans un esprit de générosité et de
sagesse. Si Napoléon III conçut jamais - c'est un point douteux
d'histoire - la politique indigène, dite du « royaume arabe »,
qui fit grand bruit après sa lettre fameuse à Pélissier, cette
conception s'est toujours objectivée en réalisations prudentes,
souvent heureuses. Ainsi en est-il des deux sénatus-consultes du 22
avril 1863. sur la propriété foncière, et du 14 juillet 1865, sur
le statut des indigènes; deux textes dont les dispositions ont
été si soigneusement élaborées, si bien agencées et si
heureusement frappées que les réformes les plus récentes,
opérées dans cet ordre de matières, ne font guère que les
développer, parfois même en reprendre l'exécution retardée :
telle cette institution de la djemââ du douar - commune, si
longtemps perdue de vue, que la législation de 1918-1919 a remise
en vigueur. - Si, pendant cette période, la distribution des terres
par la colonisation officielle a été à peu prés arrêtée,
comment oublier la délimitation des territoires des tribus,
fractions et douars, accomplie de 1863 à 1870? Sept millions
d'hectares reconnus et classés dans les quatre catégories: « melk
» ou propriété privative; « arch » ou propriété collective;
communaux de douar et biens domaniaux; couvre préparatoire immense,
qui a permis l'essor de la colonisation libre et la reprise de la
colonisation officielle après 1870.
Enfin, c'est se faire de la situation algérienne une idée bien
fausse que se représenter, sous l'étiquette de la politique
d'assujettissement, un milieu civil dans lequel l'autorité
militaire aurait étouffé toute liberté. Entre 1845 et 1870, de
précieuses garanties ont été successivement octroyées à la
population immigrée. Le régime militaire a subi une évolution qui
atteste de belles qualités de souplesse et de remarquables
facultés d'adaptation. Il a aménagé le cadre complet d'un régime
civil dont les |
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organes fonctionnaient ou avaient été, d'ores et déjà, amenés à pied d'œuvre
: justice et administration centrale à l'image des services métropolitains;
départements avec préfets, sous-préfets et conseils généraux;
municipalités avec maires, adjoints et conseillers, la distinction des
communes de plein exercice, mixtes et subdivisionnaires intervenant ensuite
pour tenir compte, à la fois, des progrès réalisés par la colonisation et
des particularités du milieu indigène. La transition était donc préparée.
Les événements de 1870 devaient seulement brusquer le cours fatal des
choses.
La vérité est qu'il faut chercher ailleurs que dans les exactions des
Bureaux Arabes et leur opposition à la colonisation la cause profonde du
conflit entre civils et militaires. Elle réside dans cette fatalité du
développement des états organisés, qui dresse l'une contre l'autre ces deux
forces, jusqu'à ce que le pouvoir militaire et l'armée, devenue la « grande
muette », soient définitivement subordonnés, soumis et obéissants au
pouvoir civil.
L'Algérie, pays de climat méditerranéen et de population clairsemée, tout
désigné, par conséquent, pour recueillir le trop plein de l'Europe
méridionale, était à peine pacifiée que vers elle se dirigeait un
mouvement de migration qui devait porter le nombre des Européens de 600 en
1830, à 160.000 en 1856 et à plus de 200.000 en 1870. Au sein de cette
société, en majorité française et, pour le reste, d'origine et de culture
latines, l'esprit public allait se former des mêmes courants, des mêmes
passions que l'opinion métropolitaine et subir les mêmes contrecoups des
événements politiques. II est tout à fait normal que s'y soit répandue
l'idée, acquise en France depuis la Révolution, formulée comme un principe
dans la Déclaration des droits de l'homme et dans les constitutions de 1791,
de 1793 et de l'an III - de la prédominance du pouvoir civil et de la
subordination du pouvoir militaire. - Le sentiment d'aversion dans lequel
l'opposition libérale englobait le régime impérial et l'armée qui avait
pris part au coup d'État, qui servait d'étai à l'Empire et qui n'était pas
encore fondue dans le peuple français par le recrutement national, allait
même s'exaspérer, en Algérie, du fait de la présence de nombreux
déportés politiques.
Vinrent la défaite, l'écroulement de l'Empire. Et le décret du 24 décembre
1870 supprima aussitôt le bureau politique et les bureaux divisionnaires et
subdivisionnaires,
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