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Le système des rattachements, élaboré de 1870 à 1881, a
fonctionné sans soulever de récriminations de 1881 à 1890; mais,
à partir de ce moment, il a été violemment attaqué devant le
Parlement. Ses résultats ont donné lieu à des critiques
sévères, consignées dans les rapports de Burdeau, en 1892, et de
Jonnart, en 1893, sur le budget, et ceux de Jules Ferry, de Combes,
de Franck-Chauveau et de Labiche, publiés, de 1892 à 1896, comme
suite aux travaux de la commission des XVIII.
Ces critiques empruntaient à la personnalité de leurs auteurs une
autorité trop considérable pour ne pas emporter la condamnation du
système. Le Sénat, d'abord, la Chambre des députés, ensuite,
invitèrent le gouvernement à rapporter les décrets de
rattachement et à réorganiser la haute administration de
l'Algérie dans le sens d'une augmentation des pouvoirs du
gouverneur, « décor coûteux », disait Jules Ferry, « inspecteur
de la colonisation dans le palais d'un roi fainéant ». Comme il
arrive toujours, en pareil cas, l'opinion a généralisé et étendu
cette condamnation à l'œuvre, elle-même, de la France en
Algérie, pendant la période qui va de 1870 à 1890. Sur elle se
sont acharnés, tour à tour, les partisans de la décentralisation
algérienne et ceux de la politique tunisienne de protectorat Le
dénigrement a été poussé si longtemps et si loin que le public
métropolitain et le Parlement conservent encore, malgré la
prospérité de la colonie et son développement prodigieux, un peu
de prévention et de méfiance à l'égard de la gestion des
affaires algériennes et que les ouvrages les plus sérieux et les
plus récents semblent hésiter à reconnaître le fait, pourtant
évident, que la situation actuelle de l'Algérie découle
directement des mesures édictées et des positions prises pendant
les vingt premières années du régime civil. Ne serait-ce que par
esprit de justice distributive, il faut, comme nous l'avons fait
précédemment pour le régime militaire, réviser le procès de la
politique d'assimilation et corriger la sévérité, vraiment
excessive, du jugement prononcé.
L'appellation de « politique d'assimilation » désigne, à la
fois, un but et une méthode. Le but d'assimilation est, en
lui-même, très concevable; il est tout à fait conforme à
l'idéal qu'on peut s'attendre à trouver chez un peuple composé,
comme le nôtre, d'éléments empruntés à toutes les communautés
voisines et lentement fondus en une unité robuste au creuset du sol
de la France. Quant à la méthode, elle procède de l'idée,
évidemment erronée, |
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que l'Algérie est le prolongement de la France, qu'elle forme trois
départements français, et que la population algérienne peut être
gouvernée et administrée comme la population métropolitaine. Mais il faut
bien remarquer que l'erreur est limitée au milieu indigène, qui représente
une société séparée, ayant sa mentalité et ses habitudes particulières,
ses intérêts moraux et matériels propres; et que les Européens sont, au
contraire, réunis en un groupement dans lequel se retrouvent tous les
caractères fondamentaux du peuple français. Cette observation, exacte
aujourd'hui encore, après l'évolution qui s'est accomplie en Algérie,
était particulièrement topique, il y a un demi-siècle, alors qu'un grand
effort de colonisation venait de transporter sur le sol algérien une
majorité d'immigrants français et que colons et indigènes, ne se
connaissant pas ou se comprenant à peine, vivaient dans le souvenir de
l'insurrection de 1871. Elle permet de faire un équitable départ entre les
mérites et les faiblesses de l'œuvre d'assimilation poursuivie pendant une
vingtaine d'années, en y distinguant ce qui a été accompli dans l'intérêt
du peuplement européen et ce qui a été tenté en faveur des indigènes.
Il faut d'abord proclamer bien haut que la politique d'assimilation a
pleinement atteint son but de peuplement français de l'Algérie. Quelques
chiffres suffisent à donner la mesure de l'effort accompli et des résultats
obtenus : 200 villages créés et 30.000 colons établis entre 1871 et 1877;
400.000 hectares répartis entre 264 périmètres de colonisation, de 1871 à
1881; la population européenne passant de 245.000 individus, dont 130.000
Français et 115.000 étrangers, en 1871, à 376.000, dont 195.000 Français
et 181.000 étrangers, en 1881, et à 536.000, dont 318.000 Français et
218.000 étrangers, en 1896; la population rurale atteignant, à ces deux
mêmes dates, 146.000 individus, puis 200.000. Cet effort, principalement
soutenu par la colonisation officielle, a été complété par des mesures
comme la loi foncière du 26 juillet 1873, qui a facilité l'acquisition des
terres par les Européens, le décret du 24 octobre 1870, qui a fait accéder,
en bloc, les indigènes israélites à la qualité de citoyens français; et
la loi du 26 juin 1889, qui a appliqué le jus soli et la naturalisation
automatique aux étrangers nés en Algérie. Mesures trop radicales, sans
doute, - on aurait pu, en ménageant les paliers et les transitions
nécessaires, éviter la crise qui a profondément troublé l'atmosphère
politique algérienne, de 1893 à 1898; ce « mal de l'Algérie » qu'ont
été l'antisémitisme
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