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   et le « péril étranger » - mais qui procédaient de vues très justes et d'une intelligente prévision de l'avenir du pays. Enfin, en encadrant ce milieu européen, de provenance si diverse, d'une administration imitée de la Métropole, la politique d'assimilation l'a plié à nos habitudes de penser et d'agir et, finalement, a imprégné d'esprit français cette masse, alors inconsistante.
Elle a été moins heureuse dans ses réformes indigènes. On peut, il est vrai, lui reconnaître le mérite d'avoir organisé la justice civile indigène par les décrets du 29 août 1874, pour la Kabylie, et du 17 avril 1889, pour le reste du territoire civil. Mais elle n'est parvenue à rétablir les désordres de l'insurrection qu au prix de cette déviation de sa ligne de conduite qu'a été L'institution de la commune mixte du territoire civil; elle est tombée dans le ridicule en appliquant un moment, sans adaptation préalable, la loi du 30 octobre 1886, sur l'instruction primaire, et ses programmes métropolitains du certificat d'études, y compris les dynasties mérovingiennes, l'accord des participes et les énigmes arithmétiques; elle s'est encore trompée, enfin, avec les lois du 26 juillet 1873 et du 28 avril 1887, en poursuivant sur plus de deux millions d'hectares des opérations qui ont soumis prématurément la propriété foncière indigène à la loi française et favorisé des spéculations et des spoliations. Ces derniers faits, portés à la tribune du Parlement et divulgués par la presse, ont soulevé en France une véritable indignation et amené l'échec du grand projet, dit des « cinquante millions », par lequel le Gouvernement proposait de créer 300 nouveaux centres de colonisation et d'établir 15.000 familles françaises, soit 60.000 à 70.000 personnes.

Le mal accompli n'était, certes, pas tellement étendu qu'il n'ait pu être rapidement enrayé par des dispositions comme la loi du 16 février 1897, sur la propriété foncière, et le décret du 18 octobre 1892, sur l'instruction primaire. Ses effets, déplorables mais beaucoup plus limités qu'on ne l'a cru en France, dans le premier mouvement d'une généreuse émotion, ont même été réparés dans une certaine mesure par les salaires dont le développement de la colonisation a rémunéré la main-d'œuvre indigène. De grands travaux publics ont été, en effet, exécutés; par exemple, le programme de construction de voies ferrées, tracé par la loi du 18 juillet 1889 qui a porté le réseau algérien, de 1.600 km, en 1881, à 3.000 kilomètres environ, en 1892, Et c'est pendant la même période qu'a été plantée la moitié -
      

soit 100.000 hectares - du vignoble algérien actuel. La vigne, cet arbre-roi qui assujettit à sa culture le colon et l'indigène, deviendra, désormais, aussi indispensable à ce dernier que le blé, cette herbe sacrée!
Mais la France était lasse de l'effort qu'elle fournissait depuis vingt ans. Pour reconquérir l'Algérie insurgée elle avait, au lendemain même de la défaite, mobilisé 85.000 hommes; elle s'était imposé ensuite d'onéreux sacrifices pour l'organiser. Le Français - c'est chose bien connue - est généreux de son sang et économe de son argent. Or, les résultats de la colonisation algérienne paraissaient faibles, au contraste de la Tunisie, si facilement soumise, organisée avec les seules ressources du pays et dont l'essor remarquable autorisait les plus beaux espoirs d'avenir.
En Algérie même, le grand mouvement d'immigration avait fait surgir un peuple jeune, vigoureux, sur lequel le régime des rattachements pesait maintenant comme un malaise, décourageant son activité par la centralisation à Paris des affaires, leur dispersion dans les ministères et la lenteur apportée à leur solution par des fonctionnaires irresponsables et ignorants des choses algériennes. Le développement de la Colonie demandait l'exécution d'un programme de travaux d'intérêt général. Comment pourvoir à la création des ressources nécessaires, en l'état d'une Algérie qui, formée de trois unités administratives - les départements -- n'avait pas, elle-même, la personnalité civile, un patrimoine, un budget? Les Algériens, fatigués d'une tutelle trop étroite, réclamaient des libertés, une autonomie.

Ce malaise général des esprits, nul, peut-être, n'en a mieux compris les causes et aperçu les remèdes que Jules Cambon, gouverneur général, d'avril 1891 à septembre 1897. Administrateur de carrière, entré dans les services du Gouvernement général en 1874, préfet de Constantine en 1878, délégué du Gouverneur général à la commission extra­parlementaire qui étudia, en 1881, les modifications à apporter à l'organisation de la Colonie, il était bien préparé à la mission qu'on lui confiait. Il brisa l'oligarchie des hommes politiques qui dominaient l'administration algérienne et avaient contribué à user le prestige du précédent gouverneur. Il exerça une influence pondératrice sur les partis. II prit la défense des indigènes non représentés au Parlement, s'efforçant de tenir égale la balance entre leurs intérêts et ceux des Européens. Sa clairvoyance lui montra que la tranquillité de l'Algérie dépendait de

 
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