|
du milieu néo-français. Chacune de ces trois forces est
concrétisée dans un ou plusieurs éléments essentiels du
gouvernement et de l'administration. L'effort d'assimilation a
réalisé des formations comme l'unité politique de l'Algérie et
de la France, le contrôle du Parlement, la tutelle administrative
de l'État, la participation des départements algériens aux
élections législatives, la gestion des intérêts locaux par les
assemblées départementales et communales. Le conservatisme
indigène s'exprime dans la distinction du territoire civil et du
territoire militaire, dans le caractère autoritaire de
l'administration algérienne, dans l'aménagement du pouvoir de
suffrage en deux collèges électoraux distincts : celui des
citoyens français et celui des sujets français, ce dernier n'ayant
qu'une représentation minoritaire au sein des assemblées
algériennes et pas de représentation du tout au Parlement. A
l'évolutionnisme du milieu néo-français correspondent, enfin, une
Algérie érigée en unité administrative spéciale et la gestion
de ses intérêts économiques par les assemblées financières.
Si l'on essaie de traduire en langage juridique cet équilibre
complexe qu'est l'ordre des choses algériennes, on s'aperçoit que
l'Algérie, groupe de trois départements, circonscription
administrative intercalée entre l'État et le département, pour
des raisons tenant à un particularisme économique et social,
représente une région administrative de la France
méditerranéenne. C'était une création vraiment originale en
1900; et ce caractère suffit à expliquer qu'on ait mis du temps à
la concevoir et beaucoup hésité ensuite à la réaliser. Depuis,
les projets de réforme administrative et le spectacle de l'Alsace
nous ont familiarisés avec l'idée dont elle procède. Il y a une
Algérie comme il pourrait y avoir un Nord minier, un Est
industriel, un Ouest maritime, un Midi viticole; comme il y a, en ce
moment, une Alsace incomplètement fondue dans l'unité française.
La sincérité de l'idée et la fécondité de la création ne
peuvent plus être mises en doute, en ce qui concerne, tout au
moins, l'expérience algérienne.
Mais un ordre social quelconque, réalisé en un lieu et un temps
donnés, n'est jamais qu'un équilibre instable; et cela est vrai,
surtout, du milieu algérien, qui, bouleversé par la conquête et
désagrégé par la colonisation, n'a pas dépassé la période
organique et subit encore des transformations dont la rapidité est
parfois déconcertante.
|
|
|
|
Les choses algériennes ont bien changé depuis 1900. II y a eu la guerre et
l'épiphénomène d'un grand courant d'idées nouvelles, qui a amené comme
une révision générale des valeurs. Par l'épreuve du sang la France a pu
prendre la mesure des forces de conservatisme et d'évolutionnisme et se
convaincre du loyalisme de l'Algérie. Elle a, dès 1919, récompensé la
fidélité des indigènes en augmentant leurs droits civils et politiques.
Elle aurait, certainement, accordé aux Délégations Financières l'extension
qu'elles souhaitent de leurs pouvoirs si, d'abord, les points de vue
réformistes, par trop divergents, s'étaient fondus dans une opinion
cohérente et continue et, surtout, si la logique du système de la
représentation des intérêts ne la retenait de reconnaître le pouvoir
souverain de décision à une assemblée au sein de laquelle les intérêts
européens sont assurés d'une majorité de deux tiers. Si elle renonçait à
la tutelle administrative, qui représente à ses yeux un contrepoids
nécessaire pour empêcher la formation d'un consortium capable d'écraser les
intérêts des indigènes, ce ne pourrait être qu'en stipulant certaines
garanties, notamment une modification de la répartition actuelle du pouvoir
de suffrage entre les deux collèges électoraux et l'octroi aux indigènes de
libertés nouvelles dont elle est d'autant plus disposée à rechercher la
formule qu'il s'agirait de préparer des mesures conformes à son idéal de
justice égalitaire.
L'équilibre actuel serait donc précaire et menacé d'une rupture prochaine
si le milieu algérien ne recelait encore des forces de résistance qui
s'opposent à une reprise éventuelle de la tendance assimilatrice, même
limitée à un aménagement nouveau du pouvoir de suffrage qui rapprocherait
davantage la condition de l'indigène de celle de l'Européen. L'analyse de
ces éléments d'opposition va nous amener, non pas à critiquer les projets
et propositions de réformes - c'est un examen qu'exclut le point de vue
général, purement descriptif, de cette étude - mais à formuler quelques
principes généraux qui sont l'application des postulats essentiels de
gouvernement et d'administration.
|
|