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   pourvoir d'un assortiment de tapis ". Il mentionne " El Callah (Kalaa) " connue par son grand " marché de schalls et de tapis ". Bref, les témoignages concordent l'Algérie est un pays de tissage.
Les tapis fabriqués avant 1830 et jusque vers 1860 comprenaient les frechia et les zerbia, tous deux à haute laine et les tapis à poil ras répartis en six genres :
Les Hembel, séparant dans les tentes le compartiment des hommes de celui des femmes. Ils atteignaient parfois 15 et 20 mètres de long, sur 2 à 3 de large;
Les Guetif, qu'on étend à terre pour dormir et qui peuvent avoir: 5 à 6m x 2 à 3m;
Les Mattrah, coussins et oreillers;
Les Djellal, couvertures de cheval, d'un tissu très souple;
      

Les Imatt, bissacs accrochés à la selle;
Les Tellis, grands sacs remplis de grains.
Bien qu'on n'ait guère d'autres renseignements que ceux de la tradition, forcément imprécise et fantaisiste, il paraît bien que les principaux centres de fabrication furent Alger; Aflou, Aumale, Biskra, Batna, Bou-Saâda, Chellala, El-Oued, Kalaâ, Oued-Souf, Sétif, Saïda, Tiaret, Tlemcen, etc... Les écoles, quant au décor et au coloris, se réduisaient à trois: Kalaâ, Guergour et Aflou. Là seulement se maintint assez longtemps une sorte de classicisme jaloux. Partout ailleurs, dès le milieu du XVIIe siècle, le dessin dégénéra. Le tissage devint un plagiat parfois habile, le plus souvent maladroit, des modèles de Turquie, d'Asie Mineure et de Tunis.

Un officier de la conquête, le capitaine Rozet qui eut, de l'ancienne Algérie, une vision exacte et colorée, donne de curieux détails sur la teinture des tissages. Le tapis algérien demandait ses couleurs aux plantes du bled. " La teinture jaune se fait avec de la gaude, qui croît en abondance autour de la ville d'Alger; la rouge et la violette avec du bois de campêche; la bleue avec de l'indigo, et le noir avec une décoction d'écorces de grenade dans laquelle on jette de la couperose ". Ajoutons-y la garance (fouca) pour le rouge, l'indigo et la gaude mélangés pour le vert (Vachon).

Le tapis de l'époque a son poète: le reggam. Le reggam est un spécialiste. Il connaît à fond une technique, deux quand il a, sous la chéchia, de longs cheveux blancs. Il va de tribu en tribu. Ses aventures sont prodigieuses. Il est un Gil Blas déluré, prudent et habile. Dans une tente, tandis que son oeil furtif guigne les femmes, il choisit la laine, les couleurs, le métier. Pas de modèles, pas de cartons, pas de schémas. Il porte, dit-on, " ses dessins dans son cœur ". S'il ne portait que des dessins ! Mais le cœur du reggam est souvent lourd d'une intrigue. Pour l'instant. il fait son tapis traditionnel. Ne lui demandez pas d'originalité : il n'est qu'un rapsode des vieux thèmes. Quelquefois pour montrer aux femmes son génie, il innove, c'est-à-dire qu'il brouille les types. Il sème sur champ berbère d'étranges fleurs d'Orient. Il insère, dans un tapis de Kalaâ, des palmettes de Perse et des œillets de Syrie. Ce trouvère du tissage fait chanter sur une carpette du Guergour une note d'Anatolie. Il arrive aussi que l'enseignement plonge brusquement dans le drame; les bergers trouvent, entre les lentisques voisins, le cadavre du Maître :

 
Fig. 66. - Tisseuse indigène
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