|
sous une tente, l'aventure est prompte, moins toutefois que le
couteau du mari. Retenons seulement du reggam qu'il a mêlé les
genres. Ne nous étonnons plus du bariolage des styles, ni des tapis
de Rabat qu'on fabriquait en Oranie, ni des tapis de Kalaâ que,
vers 1830, on tissait encore à Frenda. Le reggam a contribué à
brouiller les traditions décoratives et à déraciner les types
locaux.
Si solide qu'il parût sous sa robuste physiologie, le tapis
algérien vivait d'une vie anémiée. Il semble bien que, dès 1750,
il n'eut plus la force de persévérer dans son originalité propre.
En fait, il s'est toujours montré sensible aux influences du
dehors. N'aurait-il pas cette vitalité généreuse qui absorbe et
assimile les apports extérieurs ? Il se déforme vite. Il reste
indécis, docile aux suggestions et prompt à l'imitation qui le
classe dans une norme banale.
En 1830, dans les villes, les femmes s'essayaient toutes sur leurs
métiers aux turqueries, aux genres de Smyrne et de Constantinople.
Dans les tribus même, le décor s'affadissait. Le tapis du Guergour,
autrefois si sobre, devint une prairie où se mêlaient étrangement
les jardins de la Perse et les parterres de la Tunisie. Il est de
vieux tapis de Kalaâ, encore solides, francs de couleur, mais d'un
dessin qu'amollit l'imitation marocaine. M. Delaye n'a pas exagéré
en écrivant: "Un seul tapis semble être particulier à
l'Algérie;c'est celui dit d'Aflou ou du Djebel Amour ".
Encore, poursuit M. Delaye, pourrait-on " le rattacher à
certains types du Daghestan ". Ajoutons que son grand losange
dentelé le rapproche aussi des spécimens russes ou asiatiques
(voir l'album d'Hendley, Asian carpets, planches CXXVIII et
CXCVIII). Quoi qu'il en soit, dans la seconde moitié du XVIIIe
siècle, le tapis algérien avait perdu sa personnalité. Il suivait
les modes étrangères. Lui aussi est un renégat.
Le mal venait de loin. Marmol écrivait déjà: " Mila a esté
si tourmentée par les seigneurs de Constantine que dans la
contrée, il n'est pas demeuré mille habitants dont la plupart sont
faiseurs de sayes à la moresque et de tapis de Turquie. " Les
constatations de Shaw sont troublantes. Certes il a admiré, nous
l'avons vu, quelques beaux tapis dans des maisons algéroises. Mais
" ils ne sont ni aussi beaux, ni aussi bons que ceux de
Turquie, quoique d'ailleurs, ils soient plus doux et à meilleur
marché et qu'on les préfère pour coucher. " Note suggestive;
il n'y a pas d'exportation: " Les exportations de la
|
|
|
|
Barbarie se bornent à du blé ". Et le bon Shaw, qui fait
visite au Dey, note que le trône " était couvert d'un tapis
de Turquie "; qu'est-ce à dire, sinon que la production locale
n'était pas suffisamment appréciée pour figurer à la Kasbah,
dans le cadre officiel d'une réception ? Détail plus significatif
: le Tachrifat énumère, parmi les cadeaux du Dey au Sultan de
Constantinople, en 1758, 32 tapis du Sud; en 1761, 34 tapis du Sud;
en 1767, 40 tapis du Sahara; en 1775, 60 tapis du Sud; en 1791, 20
grands tapis du Sud; en 1809, 40 tapis du Sahara. Pas un tapis
d'Alger, du Guergour, de Kalaâ, mais exclusivement des " tapis
du Sahara ou du Sud ".
Peut-on, après ces précisions, parler d'un art original qui aurait
atteint son apogée, en Alger, entre 1800 et 1830 ? Décors
brouillés, empâtement de la ligne, exécution défectueuse,
imitation de modèles turcs, tunisiens ou marocains voilà bien les
caractéristiques de l'industrie tapissière, durant le quart de
siècle qui précéda notre arrivée. Soieries
et Broderies Un art exquis de la Berbérie turque. - La soie et
la broderie ont eu, dans le Maghreb, un précoce développement. La
chronique des Béni-Abdelouad, traduite par M. Bel, exalte un roi de
Tlemcen qui, en 1368, fit don de " riches vêtements de
lainage, de laine mêlée de soie, de pure soie colorée... ".
Léon l'Africain, à l'aurore du XVIème siècle, vit à Bougie
" des ouvrages azurés outresmarins, si merveilleux et
singuliers que l'artifice surmonte de beaucoup le prix et la valeur
de l'étoffe. " Haëdo vantait, en 1578, " les ceintures
faites d'étoffes fines ou de soie de diverses couleurs ". Il
convient, il est vrai, que bien peu de femmes algéroises "
savent travailler la soie, à moins que ce ne soit quelque renégate
ou mauresque d'Espagne qui l'aura appris dans son pays d'origine.
" Et ce pieux observateur, si coloré en ses naïves
enluminures, évoque les corsaires turcs qui tirent des fermes de la
banlieue " le " riche produit des vers à soie qu'ils
élèvent ". Le " fichu triangulaire des femmes kabyles,
brodé avec beaucoup d'art, " a séduit Shaw. Mais, à son
époque (première moitié du XVIIIème siècle), la production
locale n'était plus suffisante: " il faut faire venir des
étoffes de soie et de la toile de l'Europe et du Levant, parce que
le peu qui s'en fabrique ne saurait suffire aux besoins des
habitants. " Y eut-il, à la fin du XVIIIème siècle, une
renaissance? On pourrait le croire, d'après Venture de Paradis. Il
se gausse
|
|