|
n'est pas sans efforts que de l'Algérie turque est sorti le visage
de l'Algérie française. " Quoi! s'écrie notre homme,
allez-vous contester que... " Laissons-lui le soin de finir sa
phrase et faisons, en toute hâte, un peu d'histoire économique.
Le déplacement des courants commerciaux. - Le commerce
intérieur de l'Algérie, avant 1830, était fait d'un double
courant: l'un, qui allait du Nord au Sud et du Sud au Nord,
échangeant les céréales du Tell contre les dattes et les toisons
du Sud; l'autre, de l'Est à l'Ouest, et de l'Ouest à l'Est: il
reliait par des embranchements transversaux les grandes artères
Nord-Sud. C'est ainsi que Kalaâ, Tlemcen, Mascara, Tiaret, Boghari,
M'Sila, le Hodna, communiquaient fréquemment et avec une certaine
régularité, de manière à écouler leurs tapis, leur dinanderie,
etc... Mazouna, Kalaâ, Frenda, Mascara, Aflou, formaient un bloc
commercial cohérent. M'Sila, le Hodna, Bou-Saâda constituaient
également un groupe économique homogène. Alger se liait à la
Kabylie occidentale et au Sahel. Autour du Titteri s'organisaient
les régions de Boghari et de Berrouaghia.
Après 1830, ces courants commerciaux s'épuisent ou se détournent
de leurs directions traditionnelles. De nombreux centres de
production, désormais isolés, restent sans communication avec
leurs acheteurs habituels. D'autres marchés surgissent; les
affaires s'orientent suivant un nouvel axe. Une abondante
circulation monétaire remplace dans les douars le simple troc de
marchandises, bouleverse le cours des laines et des matériaux,
apporte des besoins et des goûts jusqu'alors inconnus. La
clientèle a d'autres exigences: la plupart des vieilles industries
locales demeurent sans débouchés.
Le progrès matériel des populations indigènes. - Se
civiliser, c'est dépenser. C'est faire passer le superflu
d'autrefois dans le nécessaire d'aujourd'hui. Un coffre de bois
peint rie suffit plus au nomade devenu laboureur: il veut une
armoire française. Et maintenant qu'il n'y a plus d'alertes, que
l'on ne décampe pas au moindre prétexte, le tapis perd son
utilité pratique : un lit le remplace dans la maison que l'on vient
d'achever. En se stabilisant, l'indigène acquiert le goût du
meuble; l'industrie tapissière s'en trouve affectée. La
civilisation procède par petites touches. L'humble moulin à café,
l'outil manufacturé, la modeste boîte d'allumettes simplifient le
labeur domestique: du coup, la polygamie décroît et avec elle la main-d'œuvre
des tisseuses familiales. L'amphore à deux anses est d'un bel effet
esthétique |
|
|
|
parmi les oliviers kabyles; mais elle disparaît devant le bidon à pétrole:
les femmes le trouvent beaucoup plus commode pour aller à la fontaine. La
bougie chasse les vieilles lampes de terre cuite. Et qu'allez-vous faire de
cette boîte à poudre sculptée, quand à la ville voisine, il est si facile
d'acheter des cartouches ? C'est le progrès. Je l'avoue, j'allais applaudir.
Ne criez pas au scandale. La vie ne se nourrit point d'archaïsme. Elle fuit
l'air confiné des musées. Certes l'allumette n'est guère pittoresque; elle
n'a pas l'échevillement d'un feu dans la brousse. Mais elle civilise les
douars.
La décadence du nomadisme et le progrès de l'agriculture ont entraîné,
par voie de conséquence, la diminution du cheptel ovin. Les pacages incultes
se transforment en champs de blé. Le troupeau n'y trouve plus à paître. La
production lainière est moins abondante. Ici, la fabrication des tapis ne
survivra pas à la transhumance.
La décadence des modèles traditionnels. Longtemps avant 1830, les
thèmes décoratifs s'étaient appauvris et déformés. Après 1830,
l'éclectisme ornemental s'accentue. Dessin alourdi, palette criarde, c'est la
formule qui règne. La rose persane vient fleurir un tissage berbère. Des
motifs Louis XV s'ajoutent à l'entrelacs d'un coffret. Dans l'émail
polychrome des bijoux kabyles s'enchâsse la verroterie italienne. N'hésitons
pas à le dire: les arts mineurs algériens sont morts de s'être
occidentalisés.
Le machinisme et la manufacture. En France, les petites techniques locales
ont cédé la place à la grande industrie. Même phénomène en Algérie. Le
travail nonchalant qui créait haïcks, foutas, tentures, meubles, ne peut
résister à la concurrence européenne. L'ébéniste indigène mettrait des
semaines à construire une étagère que le fellah trouve toute prête au
bazar.
Pour les tapis, il est d'autres facteurs de décadence. On substitue de
mauvaises couleurs minérales aux couleurs végétales. Tendance générale
d'ailleurs, constatée en Perse, en Turquie, en Afghanistan, en Europe même:
" Pour économiser, écrit M. Havard, quelques centimes sur la teinture
de la laine qui, une fois travaillée, représentera une valeur de deux ou
trois cents francs le kilogramme, on fait usage de ces couleurs minérales
dont l'introduction dans la teinture des textiles équivaut à un véritable
désastre ".
Sur tous les marchés algériens, surgissent les marchands
|
|