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En 1913, l'entrée des Djeddars s'était effondrée. Je fus chargé
de déblayer trois d'entre eux. Des anecdotes troublantes
circulaient parmi la population indigène. De leur verve à dents
branlantes, les vieilles femmes affolèrent les douars. Elles
affirmaient qu'un berger, d'ailleurs demeuré inconnu, entré dans
l'un des Djeddars, avait en vain essayé d'en sortir; il s'était
enfin engagé dans une avenue souterraine, hurlante de démons, pour
aboutir, 30 kilomètres plus loin, au village de Palat. Suivant
l'usage, ses cheveux étaient devenus blancs dans l'aventure. Même
ouverts, les Djeddars restèrent des socles à légendes. En 1914,
l'hallucination populaire y fit tournoyer des avions allemands. On
entendit ensuite le fracas des marteaux sur l'enclume. Puis, des
cris déchirants, des chants, des éclats de rire, de la musique.
Nul doute: les vieux « Roumis » en poussière, - qu'ils soient
maudits, car ils n'ont pas connu Dieu, lequel est unique - les vieux
Roumis, frivoles comme leurs successeurs, s'éveillaient le soir
pour danser. Enfin, tout s'expliqua: sous les voûtes des Djeddars,
entre les inscriptions funéraires, des compères en belle humeur,
gorgés de viande, de digestion exubérante, dépeçaient les
moutons volés aux faiseurs de légendes. Cruelle réalité! La vie
est en prose, non en versets enflammés. Le charme se dissipa. Les
Djeddars qui, depuis un millénaire et demi, en ont vu bien
d'autres, rentrèrent dans leur rôle paisible de « tombeaux
romains ». Ils le jouent encore.
En 1913, au cours des travaux de déblaiement, je n'ai naturellement
trouvé aucune trace du souterrain qui « blanchit les cheveux ».
Mais on vit, durant quelques semaines, des peintures murales qui
représentaient, l'une un évêque tenant une crosse, l'autre une
Vierge portant dans ses bras l'enfant Jésus. Ces fresques d'un
style naïf, bégayant, prompt à l'enluminure s'effritèrent
rapidement dès que l'air pénétra dans les salles.
L'origine des Djeddars a été longtemps controversée. Voici le
témoignage d'Ibn Khaldoun : « Ibn-er-Rakik rapporte qu'El-Mansour
rencontra dans une expédition des monuments anciens, auprès des
châteaux qui s'élèvent sur les Trois Montagnes (les Djeddars).
Ces monuments étaient en pierre de taille, et vus de loin, ils
présentaient l'aspect de tombeaux en dos d'âne. Sur une pierre de
ces ruines, il découvrit une inscription dont on lui fournit
l'interprétation suivante : Je suis Soleiman le Serdéghos. Les
habitants de cette ville s'étant révoltés, le roi m'envoya contre
eux; et Dieu m'ayant permis de les vaincre, j'ai fait élever
ce monument pour éterniser mon souvenir ». Serdéghos
est une altération du mot grec Stratégos. » |
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Le document épigraphique, cité par Ibn-Khaldoun, qui, ne
l'oublions pas, habita longtemps à Taoughzout, près de Frenda,
laisse supposer que le byzantin Salomon, général de Justinien,
porta ses armes dans la région. Concordance troublante: le
capitaine Dastugne, chef de l'ancien bureau arabe de Tiaret, aurait
retrouvé un fragment de cette inscription; deux mots subsistaient
encore Salomo et Stratégos.
Une autre école voit dans les Djeddars les monuments funéraires de
la dynastie vandale. Pour M. Gsell, ils sont l'œuvre d'une famille
indigène, probablement chrétienne, qui aurait régné sur le pays
aux VIème et VIIème siècles.
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