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Mais prenons-y garde: ce n'est peut-être pas là simple virtuosité
linéaire. La ligne a sans doute sa symbolique. N' engendre-t-elle
pas un polygone et ce polygone ne se résoud-il pas en une nouvelle
ligne? Ce thème ne serait-il pas celui de la pensée qui, venue de
Dieu, revient toujours se fondre en lui? L'épure géométrique
musulmane est plus que décorative, elle est métaphysique. Elle
donne par l'indéfini de ses combinaisons la sensation de l'infini.
Elle exprime aussi les tièdes torpeurs de l'Orient. L'ornemaniste
arabe fuit dans les courbes d'une rosace comme dans les méandres
d'un songe. Il supprime le relief, le détail trop fouillé qui
brutalement dissiperait le rêve. Il s'enferme dans un espace à
deux dimensions, souvenir de ce Hedjaz où le soleil dissout les
montagnes et ramène le paysage à un plan enflammé.
Avec l'art hispano-moresque, ces données s'enfièvrent. Ici
intervient un nouvel apport : l'Espagne où sans cesse, par lés
invasions, afflue le sang berbère. Le rêve est toujours
halluciné. Mais il perd de sa mystique éthérée. Et le décor se
stylise. La Perse avait encore une douzaine de motifs, des animaux
hiératiques, des fleurs, toute une flore. Le style moresque
simplifie tout. Il ne retient guère que l'acanthe, non la riche
acanthe grecque, si voluptueuse, si proche encore de la nature, mais
celle que Byzance appauvrit. Il la vide de son essence végétale.
Il la transforme en une palmette lisse, tranchante comme un
cimeterre. Les tiges se nouent et s'enchevêtrent, mais elles
restent des tiges. La géométrie s'exacerbe, mais elle reste la
géométrie. Le fourré ornemental envahit tous les panneaux. Pas un
carré ne reste vide; c'est l'horror vacui; c'est la
frénésie ornementale, prodigue, foisonnante, qui ne veut laisser
aucune marge sans décor. L'arabesque devient une hypnose : elle
endort la pensée par la répétition qui ensorcelle et enivre. Elle
est comme ces mélopées de la musique hispano-moresque dont le
dessin retombe toujours à la même note obsédante. Ne serait-ce
pas la hantise tenace d'un désir qui, pour vaincre, s'obstine à
durer ? Les romans de Grenade ont connu de ces amours opiniâtres,
secrètes, monotones qui, à la fin, emportèrent tout. - En un mot,
thème unique, merveilleusement varié.
Cette simplification nous conduit à l'art berbère. Les arts arabe
et hispano-moresque sont citadins. L'art berbère est rural. Le
décorateur du Caire, de Grenade et de Tlemcen cherche dans ses
rosaces l'oubli de la vie. Qu'il fasse, par ses polygones, de la
métaphysique contemplative ou qu'il leur confie le secret d'un
désir, |
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il reste un adorateur, pur et désintéressé, de la
Beauté. Le Berbère, lui, ne vise que l'agrémentation du décor
domestique.
Sa vocation n'a jamais dépassé le cadre prochain de la vie.
Tisser un tapis, façonner une poterie, émailler un bijou, c'est
sans doute, quand la main est habile, créer des conditions de
plaisir ; mais c'est avant tout fabriquer, en vue de l'usage
immédiat. L'œuvre ne s'est pas encore dissociée du travail.
L'artiste berbère reste un artisan. L'histoire de l'art
hispano-moresque est faite, en grande partie de descriptions de
mosquées. La grammaire de l'art berbère se réduit à des revues
de tapis, de bois, de cuivres et de bijoux. Voilà une première
différence : d'une part, art citadin, art désintéressé, art
monumental ; |
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