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Je me bornerai à faire remarquer que la mosquée de Médine, ou
plus exactement de Koba, - bourg situé à environ deux milles de
Médine - est la seule qui du vivant de Mahomet ait été bâtie, et
que soit dans le Yémen, soit au Hedjaz, soit en Syrie, les
conquérants usurpèrent les monuments des cultes anciens, sans
penser à construire jamais. Quand Mahomet rentre à la Mekke, il
n'environne pas la kaàbah d'une mosquée. Il en fait simplement
trois fois le tour et en renverse les idoles. Est-ce images qu'il
faut lire? Car on voit qu'il n'épargne ni les figures d'anges, ni
l'Abraham tenant les flèches du sort, dont la place est cependant
si grande dans le mythe arabe. Quoi qu'il en soit, l'empire fondé
par lui n'avait à sa mort pas un temple dédié à la religion qui
en était le principe; et la mosquée de Koba nous apparaît si
petite, si pauvre, à travers les récits de gens toujours enclins
au merveilleux, qu'il est impossible de voir en elle le prototype de
l'architecture de l'Islam.
Cet état de choses ne donne que plus d'importance à l'origine
des monuments arabes. Ce fut en Égypte que le premier s'éleva.
L'an 20 de l'hégire, l'un des meilleurs généraux d'Omar,
Amrou-ibn-el-Aâs, franchit le Nil à Péluse, s'empare d'Alexandrie
et vient fonder au nord de la Babylone persane la ville de Fostat,
- la tente - dont il fait sa résidence et la capitale de l'Égypte;
mais en même temps que celles de la cité, il jette les premières
assises d'une mosquée que pendant deux siècles tous les artistes
musulmans se plurent à copier.
C'est qu'aussi en Égypte, l'Islam trouvait une école d'art apte
à traduire ses affinités idéalistes. J'ai étudié ailleurs1
quelle divergence profonde sépara l'art de l'Égypte copte de l'art
de Byzance. Le Copte est avant tout un spiritualiste, il s'abandonne
à tous les élans de son imagination intempérante : il est rêveur
et extatique, et cette idée du retour périodique des choses et de
leur implacabilité, qu'une nature spéciale avait portée à un si
haut degré dans la vieille Égypte, revit en lui sous une forme
nouvelle,
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la contemplation méditative dans laquelle s'abîme
l'anachorète de la Thébaïde, de Nitrie ou de Scété.
Aussi son art, pour barbare qu'il soit, s'efforce-t-il de
reproduire les nuances de la vie de l'âme, et garde-t-il intactes
toutes les ferveurs d'un art idéaliste.
Par contre, la Grèce antique n'avait eu ni la notion du
divin, ni celle de l'infini, ni celle du mystère : peuple de
seconde pousse, elle s'était complu aux idées simples,
primitives, mesquines même, et avait vécu sans plus se
soucier du passé qui ne lui avait légué aucune de ces
traditions dont tous les peuples d'Orient ont bercé leur
enfance et qui sont comme une confidence de l'humanité
primitive, que de l'au delà qui pour elle n'était qu'un pays
d'ombres vagues. Tout cela réapparaît chez le Grec de
Byzance : il fait de la légende chrétienne une nouvelle
version du " conte de nourrice " qui a été sa
religion antique, change le nom de ses dieux en noms de saints
et d'anges, substitue la croix aux symboles du paganisme,
métamorphose ses basiliques en églises et ses panégyries en
processions, et... tout est dit.
Sans plus d'hésitation, son art devient l'interprète de
cette mascarade étrange : imitatif, il continue de même
qu'auparavant à ne s'attacher qu'à l'extérieur des choses,
à la vie corporelle et présente, sans jamais chercher à
rendre une pensée ou un sentiment ; et, introduit ainsi dans
l'église chrétienne, s'épuise en redites banales, sans
même s'apercevoir que la religion a changé.
Dire ce que fut l'école copte m'entraînerait dehors des
limites de l'art arabe. Elle naît du byzantin aux premiers
temps de l'empire d'Orient, mais bientôt le mysticisme
égyptien se réveille dans le christianisme : l'église
d'Alexandrie se sépare de Byzance et avec elle l'art copte,
qui, à dater de cette heure, ne reflète plus que ses
aspirations.
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1. Voir Al. Gayet, Des tendances de l'art
de l'Orient ancien à la période copte. La sculpture copte.
(Gazette des Beaux-Arts, mai 1892 et numéros suivants.) |
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