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   Aujourd'hui, l'Égypte entière est jonchée de ses ruines. Bon nombre d'églises et de monastères des VIe, VIIe, VIIIe et IXe siècles sont debout qui attendent l'archéologue qui daignera s'occuper d'eux.

Par malheur, une opinion très fausse, mais très répandue, a déjà induit en erreur maints critiques d'art et maints architectes. Tous ont supposé, à priori, que les conquérants arabes avaient rasé les monuments chrétiens d'Égypte, et il n'est pas jusqu'à Viollet-le-Duc qui n'ait écrit quelque part : " Il ne reste rien des monuments de l'école d'Alexandrie : les armées d'Omar détruisirent les monuments chrétiens de la vallée du Nil, de même que les bibliothèques. "
Or, pour ma part, j'ai relevé plus de vingt églises coptes et de douze monastères. L'Ouady-Natron renferme quatre couvents fondés au VIe siècle : les fondations fort reconnaissables de quinze à vingt autres gisent là l'entour, comme autant d'exemples de l'architecture alexandrine. Au Fayoum, j'ai compté jusqu'à quarante chapelles éparses au milieu des ruines des villes ptolémaïques; et du Caire à Assiout, d'Assiout à Thèbes, de Thèbes à Assouan, d'Assouan au dernier point où il soit possible d'accéder en Nubie, il n'est guère de localité qui n'ait son deïr - couvent plus ou moins écroulé. C'est le deïr en nakhlé, - le couvent du palmier, - le deïr bakarah, - le couvent de la poulie, - le deïr abou Hennès, - le couvent de saint Jean, - les quatre couvents d'Assiout, le deïr el abiad et le deïr el ahmar, le couvent blanc et le couvent rouge fondés à Akhmim par saint Schenoudy, qui prit part au concile d'Éphèse à l'instant où la querelle monophysite aboutissait pour l'Égypte au schisme d'Eutychès et décidait du sort de l'église d'Alexandrie et de l'art copte ; les deïrs de Naggadah et de Salamieh, ceux de Contra-Syène, dont l'un1 se dresse en plein désert protégé de murs crénelés, pareil aux monastères fortifiés du moyen âge, d'autres encore qu'on rencontre dans le désert arabique, ou d'Assouan à l'OuadyHalfa et qu'il serait trop long d'énumérer ici.

    

 

   

Deux traits saillants caractérisent à l'origine cette architecture. Le Copte rejette de parti pris l'arc en plein cintre et la coupole hémisphérique de l'école de Byzance ; il adopte l'arc brisé aigu ou en ogive et s'applique à dissimuler l'extrados de ses voûtes et à ramener le plus qu'il peut l'extérieur du monument à l'horizontale des temples anciens. Si même il emploie ainsi l'arc, c'est que le bois est rare en Égypte, qu'il ne peut établir des charpentes, et que l'état de décadence de son pays ne lui permet plus de recourir aux poutres de pierre de l'architecture des pharaons. Cet arc est pour lui une poutre de briques. Souvent, il jette sur elle quelques troncs d'arbres et retourne à la plate-bande; sinon, il emploie le berceau elliptique et la voûte pénétrée en arc de cloître, mais jamais la coupole byzantine, et toujours il veut que le monument se profile en terrasse sur le ciel.

En Syrie, l'Islam avait trouvé le byzantin triomphant et les coupoles constellées de mosaïques. Mais, sous leurs courbes enveloppantes, toujours semblables à elles-mêmes, où pas un point ne s'ouvre à l'élan de l'âme, il s'était senti étouffer de même que le christianisme des ascètes : en Égypte, une communauté de sentiments le poussa vers l'école d'Alexandrie; il en accepta la donnée et ce fut elle qui bâtit la mosquée d'Amrou.

Musulmans ou chrétiens, tous les auteurs arabes sont d'accord pour reconnaître que l'architecte du lieutenant d'Omar fut un Copte nouvellement converti à la reli gion du Prophète. Le grand historien du Caire, Makrisi, le relate dans sa Topographie et ajoute : " La mosquée d'Amrou-ibn-el-Aâs fut plusieurs fois rebâtie et agrandie, mais son ordonnance première se conserva au milieu de tous les remaniements.

 

1. Voir Al. Gayet, le Deïr d'Assouan. Étude pour servir de notice à la restauration architecturale du deïr exposée par l'auteur au Salon de 1892. (L'Architecture, nos d'avril et mai 1892.)

 
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